Truly – Fast Stories… From Kid Coma (Capitol)

Publié par le 2 février 2014 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

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Si vous demandez autour de vous, même à des connaisseurs, de citer les plus grands musiciens de la scène de Seattle, je suis certain que le nom de Robert Roth ne sera pas dans le top 10, voire même dans le top 20. Et si vous demandez les meilleurs groupes qui ont sévi dans les années 90, ce n’est certainement pas Truly qui viendra à l’esprit. La vie est injuste. Pourtant, il s’agit en quelque sorte d’un super groupe, puisque parmi les 3 musiciens qui le composent, hormis le Robert Roth en question, démarché à une époque par Nirvana, on a un ancien de Soundgarden et un ancien des Screaming Trees, pas le plus mauvais CV qui soit.

Tout commence en 90 quand Roth, donc, rencontre Mark Pickerel qui vient juste de quitter les Screaming Trees. Le premier a écrit une poignée de chansons qu’il veut enregistrer, le second est un batteur qui n’a plus de groupe, les deux décident d’unir leurs forces. Le premier bassiste, Chris Quinn, tenant absolument à jouer de la guitare, le groupe a besoin d’un bassiste et Pickerel contacte Hiro Yamamoto, ancien de Soundgarden qui, déçu de l’expérience, a décidé de laisser la musique de côté. Yamamoto écoute la musique de Roth, ça lui plait, il décide de rejoindre le groupe qui s’appelle Truly et sort un premier EP en 91 chez Sub Pop, comme tous les groupes locaux avec un petit palmarès ; la seule chose qu’ils feront en tant que quatuor puisque Quinn quitte le groupe peu de temps après.

L’EP sort moins d’un mois après le raz-de-marée indé Nevermind, il est prometteur et attire l’œil des majors companies qui ne comprennent plus rien à la musique des jeunes et signent tout ce qui vient de près ou de loin de Seattle et qui est plus ou moins alternatif dans l’espoir de dénicher le prochain Nirvana. C’est Capitol Records qui signe Truly en 1993, et si on peut éternellement les remercier de l’avoir fait, on ne peut pas dire que ce fût le choix commercial du siècle. Non seulement ils signent ce groupe à l’attitude anti-commerciale, qui peaufine ses morceaux et ne les rend pas spécialement radio-friendly, mais en plus ils les poussent à délaisser les singles pour devenir un groupe à album et, pour couronner le tout, ils ne sortent leur album que deux ans plus tard, en 1995, quand Seattle a plus ou moins été rayé de la carte du monde musical.
Tout cela explique plus ou moins pourquoi Fast Stories… From Kid Coma est passé quasiment inaperçu. Pourtant l’album est une pure merveille, et les rares critiques qui y prêtèrent une oreille ne s’y sont pas trompées. Et on ne peut là encore que les féliciter car en plus de son très mauvais sens de l’à-propos commercial, Roth nous offre ici une œuvre complexe. Au premier abord, ce disque s’écoute d’un bloc, et on en discerne mal les subtilités. L’album est tellement cohérent qu’il peut paraitre monocorde et le fait que chaque morceau est lié par un interlude peut donner l’impression d’écouter une seule chanson en tout et pour tout. Le premier dure 6 minutes et débute par une longue intro, ce qui a déjà de quoi rebuter. Le son est lourd, rampant, psychédélique mais dans le genre mauvais trip sous acide, Roth alterne entre un chant sombre et des cris agressifs, son jeu de guitare est bruitiste et maitrisé quand la session rythmique martèle et assure au second plan, permettant aux morceaux de prendre toute leur force.

Comme je le disais, l’album entier semble taillé d’un bloc, ce qui n’empêche pas les morceaux de s’apprécier individuellement au fil des écoutes. Le “Blue Flame Ford” introductif pourrait faire office de single si tant est que ça puisse s’appliquer à un titre sur ce disque. Les textures sont très variées et on remarquera à chaque écoute la petite ligne de guitare, l’effet ou le clavier qu’on n’avait pas perçu avant. On discerne également de mieux en mieux les ambiances qui finalement sont assez variées : “Virtually” est plutôt calme, par exemple, quand “Tragic Telepathy (Soul Slasher)” ou “Strangling” se révèlent assez flippantes, “Blue Lights” a quelque chose d’hypnotique,  “So Strange” est désabusée et carrément planante. De ce point de vue, d’ailleurs, le sommet est atteint avec les deux morceaux les plus longs de l’album, “Hurricane Dance” et “Chlorine”, véritables tours de force. Ce dernier morceau clot l’album par une espèce de jam interminable, mais dans le bon sens du terme pour une fois, qui nous fait ressortir de l’écoute comme si on se réveillait après une nuit agitée.

Fast Stories… From Kid Coma est une œuvre peu accessible, qui demande à être apprivoisée pour vraiment l’apprécier, mais qui vaut vraiment le coup d’être découverte. Et Robert Roth mérite bien sa place au panthéon des artistes injustement méconnus.

En même temps, qui pouvait encore  décemment faire du « grunge » en 1995 ?

BCG

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