Tiny Vipers – Tormentor

Posted by on 17 novembre 2025 in Chroniques, Toutes les chroniques

(Autoproduction, 7 Novembre 2025)

Seattle, berceau du grunge, porte la réputation d’une ville au climat poisseux, où la pluie semble parfois se muer en suie. Même si les références musicales d’origine perdurent, la presse se contente encore d’encenser tout ce qui sort du label Sub Pop.

Ce qui est exalté dans le présent est condamné dans son devenir. Quoi qu’on aime, on aime ce qui est mortel. C’est la réponse existentielle que propose l’album Tormentor, une œuvre entamée plus tôt puis mise entre parenthèses, le temps pour son auteure Jesy d’en récupérer les droits.

Musique portée en bandoulière, compagne inséparable et essentielle des solitudes autant que rempart contre l’assaut des villes, Tiny Vipers demeure une artiste discrète, concentrée sur son ouvrage plutôt que sur son image. « Simulate » se contente d’une guitare en écho, quelques perles mélodiques et un chant dépouillé tissent une tapisserie aux motifs subtils, avant que « Rainfalls » ne déferle dans une splendeur presque homérique. C’est une averse sonore tangible avec laquelle Jesy est familière, de l’univers urbain et de ses périphéries. Elle en connait le moindre recoin, lors de ses pérégrinations, que ce soit l’usine désaffectée d’une banlieue industrielle, les passages souterrains où elle affronte le danger. Pour Tiny Vipers, la solitude permet de se retrouver, non pas face au monde, mais d’apprécier le goût de la liberté. C’est ce qu’incarne « Breakfast », fait de grincements, d’échos, de drones, de bandes à l’envers et de frottements, de cris et hurlements. On retrouve également le folk intimiste de « American Prayer » réenregistré dans une nouvelle version.

Mais si vous devez parcourir l’album dans son intégralité, attardez-vous sur « Mary Pilgrim Inn », où est condensée toute l’essence mélodique de Jesy. Titre enregistré sans artifices, on y perçoit le bois de sa guitare, le souffle des mots, l’espace où l’effacement devient un recul nécessaire face à une lumière trop intense. C’est ici que figurent toutes les interrogations permettant de restructurer son langage afin que ses pensées soient plus en phase avec sa vie et ses problèmes, et ainsi les aborder plus sereinement. On y perçoit une altération du temps, une fusion du sensoriel et de l’émotionnel — presque une nature anthropomorphique. Une réminiscence du « Eyes Like Ours » de 2009.

Il existe des personnes qui réveillent les filaments de lumière dans la texture du moment, les couleurs deviennent alors plus vives, les contours plus précis et le merveilleux des choses se met à vibrer. Tiny Vipers est de cette trempe, une aventurière perdue dans un monde trop moderniste, qui avance sans se retourner.

Franck Irle

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