Tar Pond @ Maison des Chœurs (Montpellier), 24/10/25

Depuis « The Spirit » dédié à Martin Ain de Celtic Frost, le désespoir n’a trouvé que très peu d’égal hormis dans le reste de l’œuvre avec Tar Pond dont l’écueil se dresse avec majesté et noirceur. Chaque goutte constitue une note, macération d’une mélancolie bien réelle, vécue comme telle. Il suffit de se plonger dans les lithographies de Thomas Ott, en complément de sa voix caverneuse, pour comprendre comment la matière de l’âme est transfigurée dans une ascèse dénuée de théâtralité. Il faut surtout vivre une expérience en présence du groupe, selon une lente progression, une procession dans laquelle les ombres et fantômes rôdent, non pas pour amuser la galerie, mais pour nous rappeler combien la vanité est depuis toujours de ce monde.
Avec son premier album Protocol Of Constant Sadness suivi du troublant PETROL, le groupe helvète a fait monter le curseur, non pas dans le rouge, mais dans une strate supérieure charbonneuse, dans laquelle chaque membre creuse pour en extraire cette densité accablante, d’une rare beauté. Si l’on fait l’effort de voir sous plusieurs angles les formes saillantes d’un objet monolithique, celles-ci prennent une tout autre signification dans un environnement scénique inhabituel.
À la relecture du concert, le public a vécu les yeux presque fermés quelque chose qui peut s’apparenter à un miracle. La voix fragilisée de Thomas, en proie à une satanée pneumonie, a réussi à atteindre des sommets, passant à travers les murs de l’épuisement, à éveiller des soubresauts parmi un public captivé, le tout serti d’un cadre majestueux, presque irréel, celui d’une église qui a depuis fait couler beaucoup d’encre.

Dès l’entame de « Please », la guitare craque comme une allumette, au cœur d’un sanctuaire, guidant son auditoire vers une faible lueur. Dans une inquiétude de langage où le corps est accroché au pied du micro, Thomas expire et charrie dans sa voix une cohorte de scories que « Bomb » fait éclore sous le tissage des guitares de Daniele Merico, appuyé par Stefano Mauriello. Et le chanteur de se confondre en excuses, frappé par la fièvre et la fatigue. Le combat est rude mais il est expiatoire, personne ne fait semblant. Le communiqué du groupe mérite ici d’être restitué mot pour mot : « Jouer dans cette vieille église était magique, entourés de gens bienveillants et bénéficiant d’une organisation impeccable. Notre chanteur a commencé à perdre sa voix dès la première chanson, mais il a puisé dans ses dernières forces, et l’énergie du public nous a portés jusqu’à la dernière note. Nous avons ressenti toute votre chaleur. »
Ce concert a marqué au fer rouge l’auditoire, en témoignent la véracité des photos de Dylan Gauthier, captant chaque fraction d’un geste, chaque émotion palpable dans une fournaise qui ne dit pas son nom. Une nouvelle fois, What The Fest a accompli sa mission, le sourire presque gêné dans le regard ébahi du public pouvait être interprété comme un moment unique, là où il fallait être spectateur et galvaniseur, au moment où la forge se meut dans un moule robuste, à l’abri du temps.
Franck Irle
