Shannon Wright @ La Maroquinerie (Paris), 28/11/25

Je n’aime pas trop écrire sur les concerts. Encore moins livrer un nouveau compte-rendu du live d’un artiste déjà abordé par le passé. Mais certains le méritent plus que d’autres. Et il s’agit ici également de souligner une incompréhension. Le fait de ne croiser quasiment aucun pote mélomane aux concerts de Shannon Wright (quelques fidèles lecteurs d’Exit aperçus toutefois !) et de ne pas voir plus de connaissances extatiques face à la constante qualité de ses albums me laisse toujours perplexe. Il y a tant d’artistes beaucoup moins talentueux et sincères qui soulèvent les foules qu’il y a de quoi rager un peu de constater que l’engouement est bien moindre pour elle. Bref, Shannon mérite qu’on mette inlassablement en avant sa musique et qu’on salue l’intensité de ses prestations. D’autant que la dernière fois que ma plume était de sortie pour distribuer des dithyrambes, le contexte était tout à fait différent : Shannon Wright, seule, faisait alors fondre le Trianon lors d’un concert où elle jouait quasi exclusivement du piano (elle défendait alors son album Providence qui faisait la part belle à ce noble instrument).
Cette fois, la salle est moins grande, le public plus proche et plus prompt à se déchaîner. Toujours planquée derrière sa longue tignasse, Shannon libère la fureur qui sommeille en elle et qui ne s’exprime que par intermittence sur disque. D’abord via le titre éponyme de son merveilleux dernier album en date, tendu en diable puis furieux sur la fin (laquelle différait de la version studio, c’est à noter). Accompagnée une fois encore de Todd Cook, bassiste de Shipping News (mais pas de Kyle Crabtree, batteur du même groupe cette fois), Shannon pioche évidemment dans son rugueux In Film Sound qu’elle avait enregistré en leur compagnie, mais le fait avec une frustrante parcimonie (euphémisme ?). Nous aurons droit à l’imparable « Caustic Light » et à l’accablant « Who’s Sorry Now », et puis c’est tout. Nous qui étions prêts pour une « Noise Parade », ce sera pour une autre fois. Shannon ondule, gesticule et hypnotise bien sûr. Le public remue ses vieux os et acclame longuement, bruyamment, sans modération aucune, parce que lui aussi est conscient du privilège d’être là et déplore tous les absents qui ont plus tort que jamais.

Nos vieux os sont épargnés lorsque Shannon se dirige vers le piano pour entrecouper ses salves dissonantes de moments de grâce suspendus. Là encore, nous pourrions chipoter (pas de « These Present Arms » ni « Avalanche » : diantre qu’avons-nous fait pour endurer pareil châtiment ?) mais le formidable « Defy This Love » qui semble tiré d’un cabaret, plus déroutant et facétieux que déchirant, aura raison de nos complaintes.
Avant de nous quitter une première fois, Shannon peine à dissimuler son émotion, on se dit qu’elle devrait avoir l’habitude à force, mais force est de constater que jouer sur scène et recevoir tant d’amour d’un public béat ne cesse de la chambouler.
On espère pour le gars qui a rempli setlist.fm qu’il n’est pas parti trop tôt puisqu’il n’y fait nulle mention du dernier morceau au piano dédié à un autre parti trop tôt : Steve Albini, proche et collaborateur de longue date de Shannon Wright. Peut-être avait-il été sonné comme chacun d’entre nous par le faramineux coup de grâce qui le précédait : « Black Little Stray » et sa guitare frondeuse, alternant saccades et assauts rageurs, tiré du chef-d’œuvre inépuisable et indépassable Over the Sun, enregistré évidemment par Albini. Mais quel dommage de manquer « Something Borrowed », piano-voix bouleversant qui clôt le dernier album et nous forcera à regagner nos pénates tout penauds. On en aurait bien pris un peu plus, mais pas sûr que Shannon était en mesure d’en offrir davantage. Qu’importe, nous voilà immensément satisfaits et plus que jamais convaincus que Shannon Wright est d’une classe à part.
Jonathan Lopez
Setlist : Reservoir of Love – Ballad of a Heist – Fractured – The Caustic Light – Defy This Love – Idle hands – Hinterland – Mountains – Commoner’s Saint – With Closed Eyes – Who’s Sorry Now? – Countless Days – Throw a Blanket Over the Sun – Dirty Facade – The Hits.
Rappel : Black Little Stray – Something Borrowed
Merci à Guillaume de Vicious Circle
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