MordorFest @ Nasbinals (48), 15 et 16/08/25

Posted by on 29 septembre 2025 in Live reports, Non classé

© Jonathan Lopez

Les temps sont durs et les opportunités rares. Pour trouver un festival où ce n’est pas la guerre pour choper une bière, la mission pour soulager sa vessie, le chemin de croix pour voir et entendre convenablement un concert, il faut désormais s’accrocher. « L’expérience festival » des évènements majeurs qui écrasent tous ceux qui tentent simplement de survivre est devenu au fil des années (d’autant qu’on ne va pas en rajeunissant) de plus en plus pénible. Sans parler des programmations qui osent tous les grands écarts et souffrent d’un manque de cohérence (et d’exigence) criants. Bref, les temps sont durs. Et si nous, drôles d’énergumènes qui passons notre vie à écouter des nouveautés, à acheter des disques et aller voir des concerts, si nous ne soutenons pas ce genre de festivals, je ne vous fais pas un dessin sur le destin funeste qui les attend.

Tout ça pour dire qu’on est ravis d’arriver au camping après avoir passé le contrôle des condés (hum…), de planter notre tente au milieu de, de… d’à peu près rien, si ce n’est de vastes plaines à perte de vue. Horizon dégagé. Et puis, on croise des gens cool tous les trois mètres. Bref, on a vu pire et on n’a pas tout vu. Motivés à l’idée de découvrir, on se rue sur l’un des deux chapiteaux d’où provient du son. Les gars de Trucs sont venus pour taper sur des trucs. Il faut avouer qu’ils le font bien. De là à trouver leur musique fascinante et rester planter devant 45 minutes, il n’y avait peut-être qu’un pas mais je ne l’ai pas franchi. Cinquante mètres plus loin, je rejoins le plus petit des deux chapiteaux où évolue Vultures, Hyenas and Coyotes, duo lyonnais nerveux, (pas si) jeune et (bien) fougueux. On joue sur la répétition (pas sûr qu’on ait affaire au plus grand parolier de l’univers) et les douces saturations. Sans proposer une musique d’une originalité folle, le sympathique duo se donne. Pas inoubliable mais pas mal.

On aurait pu craindre le pire avec le show du rappeur Cléon mais le garçon fait le boulot. Si sa propension à faire (trop) participer le public peut se révéler irritante, le jeune homme se révèle très à l’aise, en verve et se permet même de déambuler au milieu de l’audience pendant qu’il débite son flow solide. Accompagné d’un batteur, il le met d’ailleurs à contribution en lui demandant d’aller récupérer cinq objets provenant des poches de personnes du public, de lui dévoiler au fur et à mesure pour un freestyle audacieux. Une réussite, d’autant que l’exercice n’est pas à la portée de tous. Et on se marre bien quand il est incapable de retrouver le nom de l’objet en question lorsque son batteur lui tend… un médiator. Illustration que le garçon ne vient pas du même univers que l’immense majorité des groupes avec lesquels il partage l’affiche. Il aura toutefois bénéficié d’un accueil bienveillant, voire enthousiaste, assez mérité.

Le premier véritable coup de cœur du festival sera pour Fer/vent, trio emmené par Élisa Gigi, une chanteuse-violoniste habitée. Le groupe livre un set d’une grande intensité et nous embarque totalement malgré des gens qui parlent et ricanent trop fort, ce qui n’est pas encore interdit mais devrait être être toléré uniquement dans une zone dédiée aux relous, à bonne distance de la scène, par respect pour les artistes et ceux qui veulent profiter de la musique. Eh oui, même au Mordor, on n’échappe pas aux touristes qui semblent exister uniquement pour nous les briser.

Nous les briser ? Ckraft y parviendra admirablement en nous proposant une musique d’un pénible rarement égalé. Le relou de service étant cette fois sur scène, armé d’un saxo et plombant systématiquement les bonnes intentions d’un groupe qui aurait dû se contenter de faire du metal et ne pas inviter ce trouble-fête (et quand ça ne suffisait pas, ils dégainaient même un ACCORDÉON). En même temps, nous étions avertis en sachant que nous allions assister à un concert de Death Prog Jazz Metal, ce qui aurait pu se résumer en un seul mot plus limpide : l’enfer.

© Christian Ravel

Heureusement, après l’épreuve, la récompense. On attendait beaucoup du trio lyonnais DOPPLeR mais certainement pas autant que ce qu’il nous a offert : une bonne grosse branlée des familles. Velu mais technique, intelligent mais pas prétentieux, déroutant mais pas abscons. Viscéral, captivant, du plaisir éprouvé sur scène et transmis directement au public, le sentiment qu’il se passe quelque chose, là, maintenant, tout de suite. 

À côté, W!zard c’était bien mignon mais trop mignon. Des tubes certes mais une énergie un brin surjouée, des attitudes travaillées, des musiciens moins méchants, mieux coiffés. Ce n’est pas nul hein, loin s’en faut, mais là le contraste est rude et l’enthousiasme nous fait donc défaut.

Chez Disco Boule, ça ne triche pas, ça joue intensément, ça met le feu, ça ressemble à un gros freestyle (et eux savent très bien ce qu’est un médiator), à l’énergie incroyablement communicative. Le trio est au milieu du public (façon Pneu) et peut constater l’état dans lequel il le met (sur la jante). Le chapiteau est mis à mal car les gars en viennent même à grimper sur les piliers (pas malin ça). À la fin, les trois bonshommes suants sont congratulés de toutes parts, ce qui constitue probablement une belle récompense, et la moindre des choses. 

On a vacillé plusieurs fois pendant que les discos nous rendaient maboules, on s’est cru vaillants et prêts à affronter le DJ set (si, si, y avait ça aussi) de Franck Vigroux qui suivait à 2h45. Mais on n’a pas tenu. C’est pas de sa faute, c’était intéressant de s’imaginer déambuler dans un film SF mais on n’est plus si fringant qu’il y a 45 ans. Qu’il se rassure, on a très bien entendu sa musique depuis notre tente et la nuit fut donc plus courte qu’escompté.

Un aligot saucisse et une baignade à la cascade du Déroc plus tard, nous revoilà quelque peu ragaillardis. Pas suffisamment pour aller voir le groupe au robot droïde parce qu’il faut pas déconner quand même. Suif, qui comporte en ses rangs d’ex-Lonely Walk et dont le premier album A Run on Thin Ice est tout à fait recommandable, était venu briser la légende du théorème : nom de merde = groupe de merde. Du slowcore tout ce qu’il y a de plus beau, bien chanté et exécuté avec quelques épisodes orageux pour combattre la monotonie. N’est pas Codeine qui veut mais est Suif qui peut (dur celui-là) et c’est déjà fort louable.

Moment idéal pour regagner la tente et glandouiller avant le marathon annoncé. (…)
« C’est Nirvana, non ? » Ce n’était pas Nirvana mais vu que personne ne m’a répondu, j’ai compris que je m’étais assoupi et que tout le monde s’était barré. Un sommeil très réparateur si vous voulez tout savoir. Et si X25X pouvait parfois ressembler à Nirvana voire à Jesus Lizard en beaucoup moins bien (mais tout est beaucoup moins bien), ça semblait bien foutu. N’hésitez pas, si vous voulez que j’écrive votre dossier de presse, je coûte pas bien cher.

Le marathon, disions-nous. Difficile de snober un groupe au nom aussi ragoûtant que Black Bile et les vagues de vomi noir nous submergent parfois aisément. C’est très identifié comme musique avec les codes en vigueur du post-metal (penchant black, forcément) qui peuvent user à la longue mais assez envoûtant avec, derrière le micro, une incantatrice charismatique et bien en voix, alternant douceurs et gueulantes.

Après ce petit détour par les ténèbres, le contraste avec Le Château Cosco est assez saisissant. Le groupe est là pour « (nous) faire danser » et tient parole. Les trois châtelains intenables virevoltent, nous donnent chaud, à défaut de nous transcender totalement. 

© Christian Ravel

Marathon, la suite. Et il faut bien se restaurer parce que se contenter d’enquiller les bières est assez peu recommandé vous expliqueront les plus grands sportifs que nous fumes (nos plus belles heures sont derrière nous, on peut se le permettre). Donc le bon burger du foodtruck est dévoré pendant Three Second Kiss. C’est moche parce que c’est très bien, Three Second Kiss. Et ce concert (même de loin, pendant sa première moitié) nous le prouve. Le trio italien présente un CV imposant (les gars ont déjà croisé le fer avec Steve Albini, June of 44 ou, plus récemment, Don Zientara aka Mr Dischord Sound) et sait composer des morceaux, pas de doute. Basse très en avant, il excelle dans les constructions alambiquées et dissonantes. Le revers de la médaille, c’est qu’il est parfois difficile de se raccrocher à quelque chose, surtout avec une attention disparate. À revoir sans manger de burger.

© Christian Ravel

L’un des évènements de ce MordorFest est la présence de Pord. Pord est du coin (Marvejols, c’est pas bien loin), Pord s’était fait fortement désirer ces derniers temps. Plusieurs nouveaux morceaux sont joués et s’intègrent parfaitement aux anciens (Wild remonte à… onze ans, tout de même). On pouvait le craindre rouillé, l’intensité du trio est au contraire assez bluffante, ça joue serré, Mike assure au chant et mitraille à la gratte, à tel point que son t-shirt Unsane ne semble même pas trop large pour ses épaules. Les visages radieux sont nombreux dans le public. Des retrouvailles qui font du bruit mais aussi beaucoup de bien. Pord est souverain en son pays. Il nous tarde désormais de poncer le prochain album et de le voir défendu sur scène.

It It Anita avait à charge de (quasi) clôturer le fest, à 1h30. Deux des trois gros branleurs qui composent le groupe (la section rythmique, pour ne pas balancer) se sont coltiné vingt heures de van aller/retour (Liège-Nasbinals, ça fait une trotte) pour venir encaisser un chèque qu’on imagine gargantuesque. À moins que ce soit par amour du beau geste, du riff assassin, du hurlement crétin et du putain de refrain. Do you really think it’s worth it, boy? On dirait bien. Et à en croire le monde sous le chapiteau et l’engouement du public malgré l’heure avancée, on dirait bien que les It It sont devenus de vrais ticket-sellers. On oublierait presque que ce trio était autrefois quatuor tant la formule actuelle semble plus efficace que jamais, l’osmose plus criante et puis bordel, que de tubes. Comment ne pas se laisser gagner par l’euphorie ? Those friends never bend.

Après cela, on n’avait plus trop envie de se faire encore secouer les écoutilles alors on s’est placé un peu plus en retrait (du punk hardcore à 2h45, dur…) et plus proche du bar (des pintes d’IPA à 2h45, chic !). De ce qu’on a entendu, No More Waiting n’a pas démérité, loin s’en faut, et ne nous a pas donné envie de nous éloigner davantage. La fête ne s’est pas arrêtée si vite, tant pis si on ne se souvenait plus de grand-chose le lendemain. On avait au moins les grandes lignes, à savoir que ce week-end fut assez parfait, que nous prions désormais pour que ce festival perdure et qu’il nous tarde déjà de revenir en ses terres si hospitalières.

Jonathan Lopez

Un grand merci à Christian Ravel pour les photos.

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