DISCO EXPRESS #28 : Lou Reed « 1974-1984 » ou la traversée du désert

Publié par le 2 juillet 2024 dans Chroniques, Disco express, Non classé, Toutes les chroniques

À l’opposé de notre rubrique sobrement intitulée « discographies » qui se veut objective, exhaustive et documentée, nous avons choisi ici de vous résumer des discographies avec concision, après une seule réécoute (quand ce n’est pas la première !) de chacun des disques. Des avis tranchés, des écrits spontanés, plus ou moins argumentés avec une bonne dose de mauvaise foi et d’amateurisme. Cause hey, this is just music!

Sally Can’t Dance (1974) : Nous sommes dans la poursuite d’une période faste pour Lou. Il a mis en boîte deux de ses grandes réussites, Transformer et Berlin en deux ans. Nous voici en 1974 et la dynamique (aka inspiration) est toujours là. Bon OK, le deuxième track, « Animal Language », et ses « miaouh », nous fait douter (c’est toi qui as composé « Venus In Furs », vraiment ?) mais après un « Baby Face » de bon aloi, avec comme sujet les relations humaines pénibles comme souvent dans la disco de Lou (« Yer not the kind of person easy to live with »), on rentre dans le vif du sujet. « NY Stars ». On est au Studio 54. On ferme les yeux et on imagine. Cette foule est brillante mais on n’a pas intérêt à regarder de trop près dans les coins. Un grand morceau de Lou. La quintessence des 70’s version NY. Et il nous assène un second coup avec « Kill Your Sons ». Le rythme répétitif et le beat quasiment industriel de la batterie nous entraînent sur un terrain miné. Lou parle plus qu’il ne chante mais on retrouve la merveilleuse voix « d’avant ». Il y a un peu de Suicide et son « Frankie Teardrop » dans « Kill Your Sons ». « Ennui », qui ne porte pas forcément bien son nom, préfigure un Lou des années 80, adepte de ces petites rêveries slowtempo. On finit avec le morceau éponyme, un hit plein de cuivres, et par une jolie petite saga, nommée « Billy », qui raconte l’amitié de deux enfants depuis l’âge de neuf ans, et qui se poursuit, avec les trajectoires qui divergent peu à peu, le Billy réussissant et un Lou se cherchant. Et le temps passe avec son lot de désillusions. L’idée derrière « Waiting on a Friend » des Stones, l’ambiguïté en plus.

Coney Island Baby (1975) : Encore un très bel album de Lou. Sa production très soft et ronde peut plaire ou énerver mais la voix de Lou est (pour le moment) vide de tout superflu. Les thèmes habituels sont là. « Coney Island Baby » commence comme une célébration de l’amour mais rappelle quand même que ses amours tarifées se terminent à 15 heures. Une entrée en matière qui pose la couleur de l’album, on tombe sur une chute des sessions tardives du Velvet, « She’s My Best Friend ». « Kicks » n’aurait pas dépareillé sur un VU justement avec son vrai-faux live intime et la voix poudrée de Lou. Venons-en au morceau qui fait parler, « A Gift ». Ses paroles (« I’m just a gift to the women of this world » ou encore « As a good wine, I get better as I get older ») ne sont sans doute qu’une blague. D’ailleurs, Lou s’assume, « I wanted to play football… for the coach ». Conclusion, cet album qui a généralement bonne presse est, à mon avis, loin d’être majeur.

Rock And Roll Heart (1976) : Voilà un Lou, tout sautillant et en pleine euphorie qui « croit en des jours meilleurs » et qui « croit en l’amour ». J’aime cet album d’apparence un peu classic rock (voire glam pour le côté parodie du rock’n’roll) mais ce LP se révélera plus profond. Il est par ailleurs assez peu cité dans les bios de notre Lou. Il faut mentionner une de ses plus belles pochettes, il en reprendra l’esprit six ans plus tard avec The Blue Mask. La musique maintenant. Après deux salves rock, il nous envoie un funk que j’adore, l’imparable « Follow the Leader », sans doute l’esprit du Studio 54 en 1976, avec son clavier très Billy Preston, suivi d’un morceau empreint d’une superbe nostalgie, « You Wear It So Well ». Lou nous tient et cet album tout bleu est décidément plein de surprises. « Senselessly Cruel », sur les faux-semblants, est une autre réussite, un petit diable syncopé au sax et au piano monocorde. Même chose avec « Ladies Pay », magnifique. « Claim to Fame » est du pur Lou Reed. « Vicious Circle » nous offre le meilleur de Lou vocalement parlant. Je crois qu’il l’a repris plus tard (sur New York, de mémoire). L’instrumentation est d’une finesse absolue et le cercle vicieux dévore notre Lou et ses rêves… On est projetés dans le NYC des 70’s, ses engueulades, ses détraqués, ses soucis, sa solitude et sa folie. Pour finir en « rigolant » (les guillements parce qu’on parle de Lou Reed quand même), on laisse notre ami nous raconter dans « Sheltered Life » sa vie imaginaire de provincial débarquant à la ville et pressentant bien que sa vie allait changer à tous niveaux. Dans l’ensemble, un album plus instrumental que vocal et ceci nous rappelle que Lou EST un grand guitariste.

Street Hassle (1978) : La meilleure pochette de toute la discographie de Lou Reed et, musicalement, ça démarre fort avec du « fight » en « slang » sur fond d’un « Sweet Jane » revisité. La confrontation urbaine sur « Dirt », mid-tempo avec sa guitare lourde et sa note répétitive au piano à la VU. Ensuite, le mini-opéra rock, « Street Hassle », on est sur le trottoir, là. « Mathilda whipped out her wallet. The sexy boy smiled in dismay. She took out four 20’s coz she likes round numbers ». À part ça, allez jouer en 2024 un morceau intitulé « I Wanna Be Black »… Résultat des courses, on tient l’album le plus VU avec « Shooting Star », « Real Good Time » et « Leave Me Alone ».

The Bells (1979) : Seulement un an après Street Hassle. Les cordes vocales de LR sur « Stupid Man » nous font d’entrée de jeu comprendre que ça risque d’être compliqué… Mais ce n’est rien par rapport à la chose qui suit, « Disco Mystic ». Mais c’est quoi, ça ? Probablement un des pires moments du fan de LR. Ou alors il faut être très très snob et clamer que c’est la suite logique du VU… Puis, arrive « With You » et une voix « embarrassante », on dirait une vieille qui perd le contrôle de son sphincter. Waw, la claque !! « City Lights », je dis non, rien ne va plus… la remarque sur le sphincter reste vraie… « All Through the Night » n’arrange rien. Allez, je cherche une note positive et je mise tout sur le tout dernier track, « The Bells ». 9 minutes 16 secondes, quand même… Il me cherche ou quoi… Une espèce de mini-opéra ou je ne sais quel morceau en plusieurs phases… Cinq minutes de pur sax free jazz pan dans la gueule, suit l‘arrivée de Lou et quelques plans batterie bien mégalos… Les vocals débarquent, on dirait une séance des Narco Anonymes… Le tout agrémenté d’un pianiste-bucheron et d’un mal à la tête sur son lit de cymbales… En fin de compte, un long machin indigeste et probablement bien poudré. Espérons que Lou se reprenne. D’ailleurs, une petite lueur d’espoir avec « Families » et son cruel « Mama, Papa, I don’t think I’ll come back much again »…

Growing Up In Public (1980) : Aïe aïe les années 80… Ne vous en faites pas, 1980 fait encore très seventies (les vraies 80’s, c’est pour la suite). Le LP n’est jamais cité par personne, je me lance. On a envie d’y croire et on se met « How Do You Speak to an Angel ». Le break avec juste les claps fatigués et la voix de Lou est absolument pathétique et l’accélération qui suit pèse des tonnes. Bon… Sympa, ce petit « Keep Away », ça ressemble à beaucoup de choses qu’on entendra de Lou dans les années 90/00, à savoir de bons petits rock sans prétention (jusqu’au saut qualitatif de New York, neuf ans plus tard). Avec « The Power of Positive Drinking », Lou nous raconte une tranche de vie éthylique. Il y répondra en chanson en 1982 avec « Beneath The Bottle » sur The Blue Mask après son passage à la sobriété, autre ambiance.

The Blue Mask (1982) : Est-ce vraiment le chef-d’œuvre annoncé ? Au travers des trois premiers morceaux, Lou nous parle de sa « maison », des femmes et, donc, de poser le verre. La violence latente de « The Gun » est prenante et, une fois n’est pas coutume, je remarque un gros travail à la basse. D’ailleurs, la section rythmique globalement fait (beaucoup plus que) le job sur ce LP. Ce qui devait arriver arriva, la violence éclate. Je ne pense pas avoir entendu rien d’aussi brutal venant de Lou que sur le morceau éponyme « The Blue Mask ». Venant de Lou, on écoute ensuite attentivement un morceau qui s’appelle « The Heroine » (oui, avec « e »), cela faisait combien de temps qu’on n’avait pas entendu un bel acoustique bien sombre. Le reste de l’album est de bonne tenue sans être transcendant.

Legendary Hearts (1983) : Pas mauvais, il y a même du bon, la voix de Lou est toujours là, plus authentique que sur d’autres albums, les thèmes sont typiquement Reed-iens, la difficulté à vivre de manière générale, que ce soit les histoires de couple (« Betrayed ») ou une énième tentative d’arrêter la bibine (« The Last Shot »). Sans être d’une originalité dingue, un morceau comme « Don’t Talk to Me About Work » avec son beat à la Maureen Tucker est très agréable. Par contre, les morceaux lents… Quelqu’un a essayé de se coltiner « Home of the Brave » et ses presque sept minutes ?

New Sensations (1984) : Coucou, c’est les 80’s… Attachantes mais dures sur le plan artistique… L’intro de « Endlessly Jealous » et ses « nappes » de clavier (burp) et l’ambiance Miami Vice de « My Red Joystick » nous mettent en condition. On démarre par « I Love You, Suzanne » qui a fait son bonhomme de chemin dans les charts apparemment (avec le prénom Suzanne dedans !) On poursuit du côté de la 42ème rue… « If your father is freebasing and your mother turning tricks, remember, I’m the one who loves you ». Musicalement, des hauts et des bas. Combien de morceaux dans toute la disco de Lou commencent comme « Fly Into the Sun » ? Dix ? Oui, notre ami Lou se répète mais aurait-il pu traiter ses éternels thèmes autrement ? Avec un pied encore pris dans cette fin de décade collante et l’autre pied dans ce qui va s’annoncer comme salvateur, Lou est sur le chemin de crête pour toute sa traversée du désert. Mais il ne s’est jamais renié. Oui, il a fait de l’inutile (l’album uniquement basés sur les riffs et larsens dont on parle beaucoup trop et que je n’ai volontairement pas inclus dans ce papier) mais Lou n’est jamais aussi bon que quand il se reprend, ménage sa monture, pose le verre et le reste et est exigeant avec lui-même. Franchement, ce New Sensations peut prêter au sarcasme mais la pochette y est pour un peu. C’est un album avec des passages assez catchy. Pas de quoi casser une corde mais quand même… Je laisse à Lou le mot de la fin dans la joie et l’allégresse : « I would not run from the holocaust, I would not run from the bomb, I’d welcome the chance to meet my maker… I would not run from the blazing light and from the rain, I’d see it as an end to misery », où Lou invente le concept de total désespoir optimiste. Avec Lou, on se tape la cuisse… à s’en faire mal.

Voilà, le désert est traversé (pour rappel, pile 10 ans, de 1974, juste après le succès de « Berlin, à 1984 et le dernier album bof bof avant le grand retour). La suite pour Lou, ce sera le renouveau et le succès critique et commercial avec New York, Magic and Loss, etc. Mais ça, c’est une autre histoire…

Manu

Traversez le désert avec Lou en dix titres parmi ce qu’il y eut de plus glorieux (mais avec un titre minimum par album… pas évident). Version Spotify et Youtube :

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