Coroner – Dissonance Theory

En cinq disques étalés sur une décennie, Coroner a marqué les esprits par ses riffs colossaux, notamment avec Grin (1993), monolithique dont les médecins légistes spécialistes du metal évaluent encore la portée. Cet ultime album studio remontant à des calendes suisses dont eux seuls ont le secret, fut suivi d’une tournée d’adieux en 1996. Avec Dissonance Theory, longuement mûri et construit comme un mécanisme d’horlogerie, le trio semble désormais synthétiser la trajectoire d’une musique parvenue à maturité — non pas close, mais solidifiée, affirmée.
S’il fallait décrire les ramifications autour des groupes fondateurs que sont Hellhammer ou Celtic Frost, on verrait se déployer plusieurs arborescences musicales qui ont su éviter les gimmicks ridicules du neo-metal (l’honneur est ainsi sauf) pour se recentrer sur l’art de la composition. Une lignée perpétuée notamment par Testament ou Corrosion Of Conformity. Dans un monde où les genres musicaux restent cantonnés à des frontières établies, la scène helvète évite les clichés habituels de lenteur, isolement ou neutralité. Coroner en témoigne en signant en cette fin d’année un des disques majeurs de 2025.
Pour s’en convaincre, il suffit d’enclencher « Consequence », dont l’enchevêtrement de guitares colle à la perfection avec l’ossature basse/batterie, sur laquelle se pose un chant grave, profondément ancré comme la cuirasse d’un vétéran injustement évalué comme moribond. Sur « Sacrificial Lamb », le chant de Ron Broder s’élance à vive allure, en convulsions simultanées, n’offrant que très peu de répit : ça rebondit, ça percute, comme une balle catapultée dans un stade bondé où gronde une machine géante prête à tout dégommer. Cette puissance est telle qu’elle renvoie au narratif antérieur de « Status, Still Thinking », titre emblématique du groupe dont la trinité parfaite s’illustre dès le titre suivant. L’engouement est tel que les premiers pressages vinyles sont presque épuisés, c’est dire l’ampleur de ce retour de Coroner.
Millimétré, perfectionné comme une pièce de haute couture, « Transparent Eye » condense à lui seul l’art de la composition collective. Ici à 1’46 précises, le point de bascule est nettement perceptible grâce à une dissonance qui reconfigure complètement l’écoute, avant qu’un solo monumental ne remette les pendules à l’heure. En consolidant les parties rythmiques et les structures progressives, Coroner se distingue des productions assimilées au metal : la couche de paraffine accumulée depuis la nuit des temps est purifiée par un feu, dont la mèche « Renewal » constitue le riff absolu.
Dissonance Theory s’impose comme l’un des disques de l’année. Le trio raconte avoir concentré toutes ses forces sur la composition, donnant au processus le temps et l’engagement nécessaires avant de décider de revenir sur scène. Coroner est désormais de retour sur la route. Quant à la « dissonance cognitive » du titre, elle traverse des textes co-écrits avec l’auteure Kriscinda Lee Everitt, qui dénoncent les ravages de l’intelligence artificielle et la paresse d’un monde en manque de créativité. En somme, l’ADN du groupe est préservé, ce qui est la preuve qu’avec le temps, la sagesse permet de se bonifier.
Franck Irle