Hüsker Dü – 1985: The Miracle Year

Vous croyez encore aux miracles ? Si l’on examine de près la chronologie de l’année 1985, dans l’histoire relativement courte de Hüsker Dü, on pourrait se dire que oui, elle pourrait effectivement en tenir, du miracle. Car qui d’autre aurait pu survivre à ce calendrier infernal ?
14 janvier : New Day Rising sort sur SST.
30 janvier : Hüsker Dü joue deux sets à domicile à la First Ave, pour la release party de son cinquième album, dans le but de publier plus tard dans l’année un double album live sur Reflex Records, son propre label, ainsi qu’une vidéo live. (Les deux seront finalement avortés)
Février / Mars : Hüsker Dü effectue une tournée de treize concerts sur la côte Ouest.
Fin mars / mi-Avril : Flip Your Wig est enregistré au Nicollet Studio. Première fois que Hüsker Dü travaille sans producteur attitré (Adieu, Spot !) et prend tout son temps pour enregistrer.
Avril : tournage d’un vidéoclip pour « Makes No Sense At All » / « Love Is All Around ».
Début mai : tournée de douze dates sur la côte Est.
14 Mai : première date à Londres au Camden Palace. Le concert est filmé pour le show Live From London et sort la même année en cassette VHS : Makes No Sense… en est le titre.
Fin mai / juin : douze concerts sont joués, la plupart dans le Sud des Etats-Unis.
14 juin : fin du mixage de Flip Your Wig.
Fin juin : sept autres concerts sont donnés.
Juillet : à en croire l’agenda vierge, le groupe glande rien. À moins qu’il ne soit en train de répéter, répéter, composer, et encore composer ? Avec deux chanteurs prolifiques qui apportent chacun de leur côté des morceaux quasi terminés, Hüsker Dü – au même titre que les Minutemen – avance largement plus vite qu’un groupe moyen.
Août : sortie du 45 tours Makes No Sense At All b/w Love Is All Around sur SST.
28 août : deux autres sets sont joués à la First Avenue, dont un pour le Spin Radio Concert Series. Il deviendra un pirate mythique de très bonne qualité.
2 septembre : Flip Your Wig débarque dans les bacs. Il restera le dernier disque de Hüsker Dü pour SST.
Septembre : tournée européenne de 18 dates.
Octobre : enregistrement de Candy Apple Grey.
Fin octobre, début novembre : tournée de neuf dates sur la côte Ouest.
11 novembre : Hüsker Dü signe sur Warner.
Décembre : un seul concert à répertorier (le quatrième de l’année à la First Ave de Minneapolis), venant conclure une série de 83 dates au total pour cette miraculeuse année.
Voilà ce que l’on peut appeler un rythme effréné. Depuis les débuts en 1979, Bob Mould, Grant Hart et Greg Norton se consacrent à Hüsker Dü sans relâche, tournant et écrivant comme si leur vie en dépendait. En 1985, ce travail acharné finit par payer. Hüsker Dü joue désormais dans des salles plus grandes, mange autre chose sur la route que du cheddar, et dort dans de véritables lits (relire Our Band Could Be Your Life de Michael Azerrad pour se rappeler qu’il n’y avait pas que la musique qui était hardcore entre 1980 et 1984… les conditions de tournée l’étaient tout autant). Grâce à une meilleure distribution, les chiffres de vente se font de moins en moins maigres. Malgré lui et sans pour autant trahir son éthique hardcore, Hüsker Dü vient d’inventer l’Alternative Rock. Avec le soutien des College Radios et de la presse spécialisée, Hüsker Dü passe à l’étape supérieure, se faisant connaître du grand public, qui découvre simultanément d’autres groupes américains estampillés college rock : R.E.M., The Replacements, Dinosaur Jr., The Lemonheads, Mission Of Burma et plus tard les Pixies et Sonic Youth. Artistiquement, 1985 s’avère également être une année charnière. La musique de Hüsker Dü devient plus mélodique, power pop parfois, et également psychédélique si l’on tend bien l’oreille. Moins dure, plus facile d’accès, mais sans perdre une once de son sens de l’urgence, comme en témoigne le premier double LP de ce très beau (et malheureusement onéreux) nouveau coffret 4xLP de chez Numero Group.
Intitulé Minnesota Miracle, le concert restitué ici dans son intégralité est le second set joué le 30 janvier 1985 à la First Ave de Minneapolis. Hüsker Dü y est à son apogée. Le son – le show avait été enregistré professionnellement par la Twin/Tone mobile unit – est resplendissant, puissant et précis, et Hüsker Dü paraît inarrêtable, enchaînant ses morceaux avec une intensité inouïe, jusqu’à ce que l’auditeur se fasse happer par un déferlement ininterrompu de tubes plus fabuleux les uns que les autres. Nombreux sont les enregistrements live de Hüsker Dü, officiels ou pirates, qui ont fait leur apparition depuis ces quatre dernières décennies, mais celui-ci, de l’avis général, s’avère tout simplement être le meilleur. De par sa qualité sonore, mais également de par la prestation irréprochable du power trio de Minneapolis. Pas loin d’être idéale, la setlist, faisant la part belle à New Day Rising, trouve un bon équilibre entre les vieux titres et les plus récents – l’éternel râleur, lui, notera la présence insuffisante de titres de Zen Arcade ; seulement trois. En fin de parcours, tombent quatre reprises qui viennent confirmer tout l’intérêt que Hüsker Dü portait aux sucreries en provenance des sixties et aux mélodies bien ficelées : « Eight Miles High » des Byrds atteint des sommets, les deux classiques des Beatles, « Helter Skelter »* et « Ticket to Ride », ne manquent pas de jus, et « Love is All Around », le thème du Mary Tyler Moore Show, permet de finir sur une touche légère. Quel concert exceptionnel ! 24 titres au total, plus d’une heure de pur bonheur, de quoi justifier le prix exorbitant de cet objet du désir ?**
On ne se le cachera pas, Minnesota Miracle constitue le plus gros morceau et l’intérêt majeur de ce coffret. Le second double LP à extirper de sa luxueuse boîte bleue, More Miracles, présente quant à lui une sélection d’extraits live enregistrés un peu partout aux USA en 1985. Même si la qualité sonore est largement moindre, les interprétations de vingt autres morceaux raviront celles et ceux qui veulent toujours et encore en entendre plus de la part de ce groupe quintessentiel. Alors on y retourne sans trop se faire prier, avec en ligne de mire la Flying V assourdissante et tournoyante de Bob Mould, les bonds et la moustache légendaires de Greg Norton, et le chant exceptionnel du batteur infatigable Grant Hart. More Miracles est aussi l’occasion de se rappeler que Hüsker Dü avait pour habitude, en concert, de ne pas souvent rejouer ses anciens morceaux. Les nouvelles compositions étaient privilégiées, Hüsker Dü les rodait sur scène avant de les enregistrer en studio, et pas moins de cinq titres de Candy Apple Grey sont ici de la partie (constituant l’intégralité de la side E). Des vieux titres (« In A Free Land » datant de 1982), une autre reprise 60s (« Sunshine Superman » de Donovan) des versions incendiaires de « Somewhere » et de « Flip Your Wig », et des curiosités (« All Work And No Play », la face B de « Don’t Wanna Know If You Are Lonely » inspiré de The Shining, et surtout le magnifique inédit « Misty Modern Days ») viennent se joindre à la fête, confirmant qu’en 1985, le groupe au sommet de son art, à voir absolument en concert, était définitivement Hüsker Dü. On n’attend plus que l’invention de la machine à remonter le temps pour en témoigner en personne.
En plus de ces deux 2×2 LP live, cette référence 250 de chez Numero Group comprend un copieux livret de 36 pages qui vous en apprendra largement plus sur l’année miracle de Hüsker Dü que ces quelques lignes.
Bil Nextclues
*Cette même version, avec Dave Pirner de Soul Asylum en tant qu’invité au micro, figurait sur le 12” de « Don’t Wanna Know If You Are Lonely ».
** Clairement, il aurait été préférable que Numero Group publie un double LP au lieu d’un coffret 4xLP. Bien plus de joyeux auditeurs auraient pu se l’offrir… Mais j’imagine que Numero Group voulait créer une sorte de suite à Young Savage Dü, le coffret 4xLP qui revenait sur la période 1979-1982, et ne voulait surtout rien laisser de côté. Que nous réservera la suite ? D’après Greg Norton, d’autres enregistrements live d’excellente qualité viennent de refaire surface…