Les Eurockéennes (Belfort), du 03 au 06/07/25

On ne va pas se mentir, l’engouement n’est plus tout à fait le même. Les têtes d’affiches et les programmations (très, trop ?) éclectiques n’ont plus nos faveurs depuis longtemps. Et force est de constater que la scène dite « Musiques actuelles » hexagonale ne déclenche clairement pas notre passion (mettez n’importe quel artiste à acronyme de votre choix). Et pourtant, l’appel du premier week-end de juillet du côté du Malsaucy a retenti une nouvelle fois. Vingt-deuxième édition pour ma part, dont vingt en mode punk à chiens au camping. Time flies. Toujours pas assez (vieux) con pour y renoncer. Malgré la tempête de 2022, malgré une météo exécrable l’an dernier, un samedi muddy comme jamais et un week-end législatif à flipper.
Avoir un aussi beau festival aussi près de chez soi, ça ne se refuse décidément pas, à l’heure où les subventions sont coupées partout pour la culture. Par des préfectures et des pouvoirs publics (souvent à droite, pretend to be shocked). On va y revenir.
Jeudi 3 Juillet
Bonne nouvelle pour la première journée dans cette édition 2025. Le jeudi est consacré à la grosse tête d’affiche contrairement au dimanche lors des trois éditions précédentes. Parfait pour une installation logistique au camping, sous un ciel gris mais clément, puisque le premier concert était prévu uniquement à 19 heures. Et après Muse, Indochine et… David Guetta (qu’on a soigneusement évité l’an passé, faut pas pousser non plus), place aux vétérans d’Iron Maiden, tous plus ou moins éligibles à l’âge légal de départ à la retraite. Pour une tournée qui fête leurs 50 ans de carrière. Excusez du peu. Ils ont leurs trimestres. Une date quasi exclusive en festival français (hors Hellfest), bookée par le programmateur des Eurocks, Kem Lalot, depuis plus d’un an. Je serais curieux de connaitre les montants. Pour un show de deux heures (soit une grosse quinzaine de titres), avec une scénographie moderne sur le plus grand écran jamais installé sur la Grande scène des Eurocks. Impressionnant. Et quelques apparitions d’Eddie, avec divers costumes. La fameuse mascotte du groupe britannique, qui, monté sur échasses doit bien approcher les 2,50 mètres. Et déambule entre les six musiciens (dont trois guitaristes) qui déroulent impeccablement les classiques du groupe : « The Trooper », « Run to the Hills », « The Number of the Beast », « Fear of the Dark »… Même en tant que faible connaisseur de la discographie des anglais, on se régale.

Basse galopante, soli de guitares en veux-tu, en voilà, riffs mélodiques, harmonies à la tierce, refrains triomphaux, la recette est rodée mais diablement efficace. Pour avoir vu Robert Plant ou Sting sur la même scène, le constat est le même. Ces (vieux) gars savent faire. Le son est impeccable (pour un festival en plein air s’entend), dialogue et blagues avec le public avec un Bruce Dickinson enjoué, qui multiplie par ailleurs les costumes, les accessoires (drapeau anglais sur « The Trooper », lanterne sur « Fear of the Dark »…) et se balade sur le décor au gré des morceaux. L’énergie est communicative et nous pousse même à lancer des « Ruuuuuuun to the Hills », « 6, 6, 6, the Number of the Beast », ou des « Fear of the Dark » à gorge déployée. Et la scénographie a parfaitement reproduit l’iconographie du groupe, parfois avec brio comme l’introduction (longue) du concert ou les visuels sombres et splendides sur « The Rime of the Ancient Mariner » où le vaisseau fantôme affrontait la tempête… pendant qu’une averse arrosait la grande scène. Forts les Anglais sur les effets spéciaux. La bête a de très beaux restes. Le même soir, deux autres groupes officiaient dans un registre metal : Avatar et The Raven Age. Mais pour cause de bières échangées avec des amis de longue date pas croisés depuis longtemps, on a fait l’impasse. C’est aussi ça les Eurocks. Bref, avec une consommation élevée de mousse, surtout pour un premier jour, retour précoce (les portes fermaient à 1 h) au camping.
Vendredi 4 Juillet
Avec une (petite) nuit dans la tronche, par la faute d’une sono type rave party proche du campement qui réussit l’exploit de transpercer même les boules quiès (qui sont ces gens ?), le réveil est difficile. Mais le soleil est radieux et le programme chargé. La journée rock du week-end, débutée vers 17h et qui va s’étirer jusqu’à 2h du matin. Avec bien quinze kilomètres dans les pattes et une température frôlant les trente degrés, mais six à sept degrés de moins que deux jours plus tôt. Ouf ! Une ou deux Radler citron allemande à 2,5 degrés, eau fraiche à profusion, t-shirt mouillé (sec au bout d’une heure) pour rafraichir le festivalier quadragénaire. On ménage la monture.
Dead Poet Society ouvre le bal dès 17h sous le chapiteau de la Greenroom. Avec un son énorme, guitares à micros actifs fortement détunées en avant, rythmique lourde, pour un stoner-metal que l’on qualifiera de moderne. Ça ne ronronne clairement pas comme du Kyuss. C’est très (trop ?) calibré et efficace avec un chanteur et des compositions rappelant davantage Royal Blood que les grands noms du stoner canal historique. Mais bien meilleur à apprécier sur une scène que sur disque où les distorsions de guitares, trop compressées, ne me convainquent décidément pas.
Changement d’ambiance radical ensuite avec MRCY, qui propose sur la Plage une soul vintage dans le décor parfait d’un soleil rasant sur l’eau du Malsaucy. Un de mes coups de cœur de cette édition. Les Anglais n’ont encore que deux EP à leur actif mais la voix de velours de Kojo Draft-Johnson, qui ressemble à un combattant de MMA (!), devrait assurer un avenir radieux à ce groupe. Basse ronde, groove diabolique qui invite à shaker ses hanches, et un multi-instrumentiste qui alterne guitare, saxo et violon avec talent. On serait bien resté jusqu’au bout mais le all-girl punk band texan, Die Spitz, avait aussi de quoi séduire sur le papier. Transférés sur la grande scène à la place de High Vis, retardé sur la route et finalement annulé, le quatuor d’Austin a enthousiasmé les spectateurs de la scène principale, clairsemée (il est à peine 18h30 aussi) mais réceptive à la musique âpre des texanes. Entre punk racé, grunge et sonorités plus metal avec un chant parfois screamé. Rapidement arrivés dans les premiers rangs, on a aussi pu constater, amusé, que le matos du quatuor aurait pu tenir dans notre salon et que le théâtre immense d’une main stage ne doit pas être le quotidien de ce groupe. Le contraste est assez dingue avec le barnum de Maiden la veille. Mais quelle superbe opportunité que les Eurocks ont ainsi offert à ce groupe, qui en a profité avec des sourires et une joie communicatifs. Et après tout, une batterie, trois amplis, des guitares, quelques micros, let’s Rock! Si vous n’êtes pas allergique à Amyl and The Sniffers ou Hole, ça devrait vous plaire.
Après un bref vagabondage pour trouver de quoi se nourrir, on s’échoue sur une Plage bien énervée dans ses premiers rangs pour un petit voyage vers les 90’s avec Silmarils, dont j’ignorais qu’ils tournaient encore et dont je ne connais que les quelques tubes (« Cours vite », «Va y avoir du sport »). En résulte une grosse nostalgie et un public de darons avec ce son typé fusion typique. Grosses guitares, section rythmique groovy et flow rap. Mais n’est pas Zack de la Rocha et RATM qui veut. Sur la plage et sous un beau soleil déclinant, ça va, ça passe. On se dirige ensuite assez vite vers la Greenroom pour assister à la branlée du jour avec les Marseillais de Landmarks. Grosse affluence et énorme ambiance alors que l’on se trouve à proximité des premiers rangs et tout près des slammers qui déferlent vers l’avant de la scène. D’entrée, le metalcore du groupe va nous rouler dessus sans préavis avec « Créature » en guise d’ouverture explosive. Guitares lourdes à micros actifs, gimmicks à la Gojira, un petit côté punk hardcore, une touche emo, ça poutre sévère et ça se bousculait comme rarement dans une Greenroom bouillante pour aller en découdre dans la fosse. À tel point qu’une fois le concert passé, les techniciens sont carrément revenus fixer des barrières mal en point devant la scène ! Bien qu’en dehors de ma zone de confort, j’ai pris une grosse claque avec la performance vocale de haut vol de Florent Salfati, qui alterne flow hip hop en français, growl du fond des âges, chant screamé, et chant clair sur refrains emo triomphants in English ! Parfois sur le même titre. Assez bluffant. Pour parachever ce festival, il s’offre même un titre seul sur scène, Acoustasonic à la main, presque en crooner ! Il fait encore jour, mais on aurait pu sortir les briquets. Si on a beaucoup parlé de Gojira à l’international notamment pour leur prestation badass aux JO 2024, les Marseillais de Landmarks postulent clairement pour la place de nouvelle promesse Metal made in France à l’exportation. Pour se remettre de ce concert physiquement mouvementé, retour à la plage et surprise avec Yodelice (plus connu comme étant le gars qui joue de la guitare acoustique dans une scène des Petits Mouchoirs en espérant reconquérir Marion Cotillard), qui joue… seul sur scène. Un set électro-rock avec une scénographie et un décor assez impressionnants, où il multiplie boucles vocales et/ou loops de guitares. Agrémentant parfois l’ensemble de soli bluesy assez élégants. Pour l’avoir vu en première partie de Ben Harper il y a fort longtemps à la Foire aux Vins de Colmar, et avec un vrai groupe en mode rock-folk, le voir ici en solitaire dans cette ambiance stroboscopique et plutôt post-punk avait de quoi dérouter. Mais pourquoi pas. Passage ensuite vers la Loggia, la plus petite scène des Eurocks, pour le post-metal de Alta Rossa. Public clairsemé, la foule est allée attendre DJ Snake sur la grande scène, et on se retrouve à la barrière sur un côté. Sans doute trop près puisqu’on se prend un déluge de fréquences basses, on peine à discerner les deux guitares sous une rythmique qui semble nous asséner des coups de menhir directement sur le crâne. Pour rajouter à l’inconfort, le chanteur growle comme un possédé. Pas les meilleures conditions pour profiter du show et à mesure que l’on s’éloignait des premiers rangs, le son semblait plus défini et le concert plus audible. Je suis quand même resté sur ma faim. Un peu trop monolithique. J’aurais dû opter pour le déjanté Philippe Katerine, déjà croisé ici en 2006, le soir d’un mémorable et zidanesque France-Brésil. Et je coupe le son ! Et je remets le son ! Pour patienter avant le dernier concert prévu avec Pogo Car Crash Control à 1h, direction la grande scène et la tête d’affiche du jour soit DJ Snake. Les premiers rangs sont plus que blindés (il y aura des dizaines d’évacués par la sécurité), mais on se trouve à distance très respectable. Le light-show est impressionnant, ça crache du feu partout, et ça reste plus abordable comme set électro pour ma part que la rave party à proximité de ma tente la nuit précédente, et je ne le savais pas encore, de la (petite) nuit qui s’annonçait. Quelques tubes internationaux, influence orientale sur certains titres et quelques drapeaux palestiniens perdus dans la foule. C’est ce qui me restera comme souvenir. Direction la plage et un dernier shot d’adrénaline avec les excellents Pogo Car Crash Control, dernier nom apparu sur la programmation pour notre plus grand plaisir et qui vont électriser les rescapés du jour. Pendant que la foule quitte la grande scène et DJ Snake, le quatuor va déglinguer les premiers rangs de la Plage avec ses titres frontaux, (grosses) guitares en avant, en français dans le texte le plus souvent, la basse de Lola Frichet (ex-Cosse) bondissant partout, cette dernière apportant son joli de brin de voix dans un contraste bienvenu avec le chant plus énervé d’Olivier Pernot. Comme sur « Don’t Get Sore » ou « Comme toi » qui évoquerait presque les 80’s. Mais ne nous méprenons, ce sont plutôt pour les guitares rageuses très 90’s et l’ambiance grunge-punk-metal en dérapage contrôlé que l’on était venu. Comme avec cette doublette « Déprime hostile » – « Traitement mémoire » assez dantesque. C’était mon premier contact scénique avec le quatuor de Seine et Marne. J’en ressors ravi. Il repasse pour Halloween à Audincourt. Be there or be square!
Samedi 5 Juillet
Le contraste avec le samedi de l’an passé est saisissant. Au même endroit, l’ambiance était plutôt… aquatique. Un déluge de pluie toute la journée, un départ tardif vers le festival (19h), une marée de boue sur le site comme jamais on n’en avait vu au Malsaucy. Et l’incertitude du vote aux législatives le lendemain comme un poison dans un coin de mon esprit. En 2025, le soleil écrase de ses rayons le camping. Les fachos sont loin de nos préoccupations et même si le programme du jour semble léger pour mon goût d’indie-rocker, il y a quelques chouchous qui jouent ce soir dans mon jardin d’Eden musical préféré. La nuit a encore été courte, foutue sono de m…., mais le pas est (presque) aérien et le cœur en fête. Keziah Jones et son funk redoutable se charge de nous mettre dans de bonnes vibes sous le soleil encore chaud d’une Grande scène assez clairsemée. Ça slappe de fou à la basse, ça envoie des cocottes funky en pagaille. Notre carcasse de festivalier du troisième jour tente tant bien que mal de se déhancher pour suivre le rythme imposé par les musiciens. Ça joue. On surveille la montre car il faudra bien vite repartir vers l’entrée du festival et la Loggia, scène qui accueille à 19h30, horaire un poil précoce, l’indie-rock americana des Anglais de King Hannah. On est aux premières loges. Un gars qui colle la barrière porte un tee-shirt de Pavement. Le soleil décline à peine. Le décor est planté. En robe rouge (celle du clip de « Big Swimmer » ?), la silhouette frêle, Hannah Merrick captive à chaque chanson de sa voix susurrante. Qui semble vouloir se casser à chaque instant et pourtant distille des mélodies imparables mais douces comme un parfum discret. Festival oblige, le set est court, d’autant que le groupe débute par le superbe, mais long, « Somewhere Near El Paso », et deux titres plus loin, « Suddenly, Your Hand », sublime avec son outro qui fout les poils. Deux titres d’ambiance pour un très gros quart d’heure, qui auraient été (plus que) parfaits au crépuscule. Foutu soleil. Le groupe a l’air ravi et régale carrément sur le génial « New-York, Let’s Do Nothing », petite bombe indie qui fait remuer les premiers rangs. Enchainé avec un « Davey Says » dans le même esprit so 90’s. Le gars au t-shirt Pavement a dû apprécier comme nous. Un poil trop en retrait dans le mix quand même, la guitare de Craig Whittle grésille comme on aime. Et quand il dégaine un de ses soli à la Neil Young, on se dit, avec envie et admiration, que le gars tape toujours la bonne note, la mélodie qui nous tirerait presque la larme. Hannah n’est pas en reste et compte aussi des fans, dont un particulièrement entreprenant, qui hurle son nom… entre chaque morceau. Pas réussi à déterminer au ton de la voix si c’était un vrai fan ou un gros beauf. Y’a pas eu de « A poil ! », donc le doute est permis. En réponse, Hannah, amusée, lance des pouces, ou lui rappelle que maintenant, bon… elle doit quand même chanter. Les titres du dernier album Big Swimmer, dont la moitié sera jouée, supportent parfaitement l’épreuve de la scène, comme le menaçant « Milk Boy (I love you) » dont les guitares rêches contrastent avec les ambiances plus mélancoliques du début de set. Petite déception pour ma part avec peu de titres du premier album (à peine « Go kart-kid (Hell no!) ») et notamment pas mes deux préférés, « I’m Not Sorry, I Was Just Being Me », et le magistral « The Moods That I Get In ». Snif. Le set, trop court, finit toutefois sur l’excellent et bipolaire « Big Swimmer ». On en aurait pris une demi-heure de plus avec le plus grand plaisir. En espérant une date prochaine dans l’Est. Après tant d’amour, j’aurais presque fumé une clope. Mais la chialade du jour était prévue pour le concert suivant avec mes chouchous, les Alsaciens de Last Train.

Troisième passage aux Eurocks après une Loggia en 2016, où je les avais découverts, bluffé, et 2022, la consécration, la Grande Scène sur la tournée de The Big Picture. Cette fois-ci, c’est la Greenroom. Et on avait raison d’arriver tôt. Ça squatte déjà les barrières et on sera relégué dans les rangs suivants. Suffisamment près pour être capté sur le premier titre par Arte Concert qui filme le concert. Pour la postérité. Le chapeau en festival, bon outil de protection solaire et de repérage. Le quatuor haut-rhinois en est à son troisième album et va dérouler une set-list (quasi) parfaite alternant ses titres les plus emblématiques. Soufflant le show et l’épique. Comme une évidence, le groupe débute son set par « Home », titre introductif de son dernier album, parfait pour faire grimper la température. L’enchainement « The Plan » – « Way out » achève l’échauffement rock. Avant un premier coup de chialade avec l’épique « On Our Knees », dont le crescendo central, fortement inspiré par Explosions in the Sky, fait toujours son petit effet. Petit instant bromance quand les deux guitaristes, Jean-Noël Scherrer et Julien Peltier, échangent regards complices et gestes tendres avant de lancer la cavalcade finale. Frisson. L’ambiance est clairement montée d’un cran à cet instant et histoire de battre le fer quand il est chaud, voilà le riff de basse de « Disappointed ». Apparemment, les esprits étaient par trop échauffés chez certains puisqu’une bagarre éclate juste devant nos tronches ! Si bien qu’on entame un mouvement de recul rapide pour éviter les châtaignes qui commencent à pleuvoir assez près. Concert interrompu par le groupe. Moment de flottement et sentiment étrange quand la foule autour de nous hue et désigne le fauteur de troubles apparent qui doit s’éloigner avec son ego qui rase la poussière de la Greenroom. Jean-Noel Scherrer qui n’a rien raté de la scène, appelle au respect dans ce chapiteau « safe place » et on repart. Sur le moment, sur place, j’ai senti le quatuor comme freiné dans son élan, mais au revisionnage du concert, il n’en est rien et le titre suivant, le formidable « All to Blame » percute comme jamais avec ces changements de tempo. Arrive ensuite un « Fire » dantesque et revisité qui va s’étirer sur presque dix minutes. Avant le classique « Between Wounds / One Side Road » où Jean-Noel a pris l’habitude de s’élever sur la foule, porté par la ferveur des premiers rangs, pour finir en slammant guitare à la main. On est à trois mètres, c’était badass. Arte a fait le job en capturant magnifiquement le moment, notamment le lâcher-prise, comme en slow motion pour le début de slam. Mais Last Train, au-delà du show rock, c’est aussi un sens de la tragédie et de l’émotion épique qui se nourrit d’influences post-rock puissantes. Et le concert de s’achever sur un duo où l’émotion à fleur de peau reprend le dessus. « This Is Me Trying » et ce chant loin du micro, comme un appel à l’aide, lance un premier frisson avant la chialade finale avec le final classique de dix minutes, « The Big Picture ». Le silence se fait sous la Greenroom lors de l’intro bluesy ultra-lente, consciente qu’il se joue bien plus que de la musique dans ces minutes intenses. Le climax habituel de ce titre voit Jean-Noel tenir un bend interminable à la guitare et maitriser, comme jamais, son larsen avec une dextérité rare. Sur la fin, Julien Peultier arrache méthodiquement les cordes de sa Telecaster dans un état second. Il n’est pas rare après ce titre dans les concerts auxquels j’ai assisté de voir des jeunes gens pleurer dans le public. Comme à son habitude, le quatuor prend son temps pour quitter la scène, en communion avec son public. Les membres du groupe s’étreignent avec effusion, au bord des larmes. On ne triche pas. Ça devait être mon sixième ou septième concert des Alsaciens. Et toujours la même secousse. Les places pour les deux dates en avril 2026 pour la réouverture de La Laiterie sont partis en quelques minutes. Tu m’étonnes. RDV à Strasbourg. Pause repas ensuite et on zone en recherche de guitares protectrices à un moment où Clara Luciani officie sur La Grande Scène et Ofenbach et sa house fait danser la Plage. Repli sur la Loggia où on se consolera vite avec les frenchies de Dynamite Shakers et un garage-rock de facture classique qui lorgne vers les 60’s voire le punk des 70’s. Efficace et énergique, parfait pour clôturer une bonne journée, bien que moins dense que la veille. Le niveau de testostérone dans l’air ambiant était par trop élevé puisque un pogo permanent s’est installé rapidement dans les premiers rangs avec un niveau d’agressivité et d’intensité plutôt rencontré dans des concerts de punk-hardcore. Bref, au lieu d’un truc bon enfant, on bascule vite vers un début d’échauffourée avec des gars qui perdent des neurones dans leurs effluves éthyliques. Fatigue. Mais très chouette concert, grosse énergie du quatuor et best t-shirt pour la bassiste avec ce génial « I’m not the singer’s girlfriend ».
Dimanche 6 juillet
Rentré avant la horde de ravers et donc sous la tente, et endormi, avant le déluge de techno, la nuit est presque bonne. Aujourd’hui, aucun groupe connu à l’horizon à part Justice, chargé de clôturer le week-end et qu’on a déjà vu par ici, il y a bien longtemps. Mode touriste activé. Les pouvoirs publics locaux (de droite) ont interdit par arrêté préfectoral le concert de Freeze Corleone en raison de textes jugés provocateurs. Contre l’avis du festival. Alors que la justice n’a jamais condamné l’artiste. Le tout à la suite d’une alerte d’un député RN. Sont plus discrets quant à leurs « brebis galeuses » négationnistes à l’Assemblée Nationale. La paille, la poutre, toussa toussa. Fut un temps, même un Brassens fut frappé par la censure. Et c’est souvent par la Culture qu’elle commence sa funeste entreprise. Bref, ce dimanche va prendre une tournure politique inattendue. Et m’offrir un souvenir incroyable. Mais commençons par le début. Et The Molotovs, trio britannique de Londres, a assuré un show à l’énergie rappelant les grandes heures du rock et du punk anglais. Pas novateur pour un sou mais diablement efficace et parfait pour la foule de la Loggia réunie en cette fin d’après-midi. Le Royaume-Uni était à l’honneur ce dimanche et The Last Dinner Party a enchanté ensuite la grande scène avec une pop baroque et flamboyante qui n’est pas sans rappeler Arcade Fire. Le quintet féminin, accompagné d’un batteur en tournée, m’a bluffé avec ses harmonies vocales superbes et des titres élégants et parfois même carrément rock comme sur « Big Dog », menée par la théâtrale Abigail Morris. Quelle voix ! Avant le titre « Mercy », elle demande au public de prendre une minute, s’il le souhaite, pour faire une donation à une ONG, destinée à la Palestine, pendant qu’un QR code envoyant vers un lien s’affiche sur les écrans entourant la scène. Arte avait choisi de diffuser ce concert, que j’ai apprécié de revoir, mais la réalisation a apparemment préféré « invisibiliser » les écrans diffusant le QR code pendant la séquence. Bref. La cause palestinienne était donc l’invité surprise de cette journée.
En arrivant sous le chapiteau de la Greenroom pour assister au concert des Irlandais de Lankum, on repère rapidement un keffieh auprès d’un clavier. Je ne connaissais pas du tout le groupe ni sa musique. L’Irlande est un des rares pays à avoir reconnu l’Etat de Palestine. Vu son passé sous domination anglaise et sa tradition de soutien aux mouvements anti-coloniaux, je me doute qu’il peut advenir quelque message militant. Mais c’est d’abord le folk acoustique dronesque aux influences celtiques qui m’a rapidement subjugué. Encore un pari réussi des Eurocks qui invite un groupe à la musique singulière et exigeante dans un festival mainstream. Pour leur seule date française. Le quintet propose une musique hypnotique, vocale et acoustique avec des instruments traditionnels irlandais alternant ambiances presque cinématographiques (un des chanteurs porte un t-shirt Twin Peaks, cqfd), et embardées celtiques… qui donnent envie de prendre un ticket pour Dublin.

Dès le premier titre, « The Wild Rover » qui va s’étirer sur 12 minutes (!), je me dis que je vais prendre une claque comme l’année précédente sur la même scène avec le show folk nordique de Heilung. L’ambiance monte d’un cran avec le splendide et plus virevoltant « The New York Trader », que Ian Lynch, un des chanteurs du groupe et le préposé aux instruments irlandais, lance en rappelant que personne ne souhaite vivre dans un monde où un génocide est normalisé. Le message est clair. La musique lumineuse notamment l’outro au violon. La tradition irlandaise suinte de son chant puissant mais le titre suivant va porter ce concert à un sommet inhabituel. Sur « Rocks of Palestine », titre quasi exclusivement vocal et issu d’une relecture d’un air irlandais traditionnel, c’est un moment rare auquel on assiste. Quand la Musique et l’Histoire se rencontrent alors que cette dernière écrit des pages bien sombres. La voix de Ian Lynch, rejointe ensuite par celle de ses camarades, est une complainte, autant qu’un cri qui perce le silence (occidental), un appel à la résistance et au soutien d’un peuple qui meurt. Définitivement un moment gravé dans ma mémoire. Et un titre frisson que je range du côté du « Chant des Partisans », « As brumas do Futuro » ou « El Pueblo Unido Jamas Sera Vencido ». Au hasard. Radie Peat, la chanteuse, demande amusée au cameraman, s’il a bien filmé ce moment pour la télévision, alors que s’élèvent quelques « Free Palestine » dans la foule. Le concert est disponible sur Arte et la séquence, cette fois-ci, parfaitement visible. Je ne me remets pas des paroles de ce titre et de son interprétation :
You murder with impunity
you massacre with pride
You plunge them into darkness
To conceal your Genocide
You want their strenght to falter
So they’ll scatter from their Land
But strenght is just another world
for Palestinian
Through all this pain and anguish
They’ll continue to resist
For who are you to tell them
They have no right to exist
No matter how you torment them
and butcher them like swine
You’ll never take possession of
The Rocks of Palestine
Ça secoue. La Musique est grande dans ces moments-là. Et quel concert magnifique entre tradition irlandaise, harmonies vocales sublimes et drones acoustiques inquiétants. Radie Peat illumine de sa voix superbe le dernier titre,« Go Dig My Grave » à la pulsation inquiétante. Pour un dernier frisson. Bluffant. Une fois requinqué par un excellent rice bowl (l’offre culinaire a fait des progrès notables depuis vingt ans, miam) avec en fond sonore (lointain) l’électro de I Hate Models sur la Plage qui s’amusait à faire du mash-up avec « Killing in the Name » au ralenti, on était prêts à finir une nouvelle édition des Eurocks. L’Indie pop des australiens de Royel Otis a conquis sans difficulté une Greenroom prête à se déhancher au son de belles mélodies et de l’énergie des Aussies. Et de quelques covers inattendues mais un poil convenues. « Murder on the Dancefloor », mouais… On pouvait sans problème préférer une chouette version du « Linger » des Cranberries. Concert sympathique et parfait pour mettre (encore) un peu de soleil dans les cœurs et pour contrebalancer une météo capricieuse en ce dimanche. Un Australien (!) était dans le public. Il a fini sur scène, à l’invitation du groupe, à boire de la bière dans… sa botte. Initialement, j’avais prévu de finir les Eurocks avec Justice sur la grande scène pour une clôture électronique. Mais l’actualité musicale récente a changé mes plans. Quelques jours auparavant, un groupe nord-irlandais voyait la retransmission de son concert à Glastonbury censuré par la BBC. Effet Streisand immédiat et le nom de Kneecap débarquait sur les réseaux et les fils d’actualité relatifs à la Palestine. À l’instar de Lankum, le trio hip-hop de Belfast ne manque pas d’alerter sur la situation dramatique à Gaza, ce qui a le don d’agacer l’establishment anglais, pas vraiment pressé de mettre la pression sur les gouvernements génocidaires. On a les mêmes par ici. C’est donc en curieux que j’allais assister à un concert de hip-hop d’un groupe connu pour utiliser aussi bien l’anglais que… le gaélique irlandais dans ces textes. J’ai ainsi appris la signification du slogan historique suivant : Tiocfaidh Ar La soit Our day will come. Malgré la pluie qui arrosait la Plage, le trio a enflammé les premiers rangs avec quelques tubes que même le néophyte que je suis a apprécié. Comme les excellents « H.O.O.D. », « Guilty Conscience » ou « The Recap ». Avec une énergie et une morgue toute punk. Prenant le temps d’un message puissant sur la situation au Proche-Orient. Dénonçant les pressions qu’ils subissent, réaffirmant leur détermination, quoiqu’il en coûte, à utiliser la scène comme une tribune pour une cause qui dépasse leur musique. Et célébrant leurs compatriotes de Lankum ou Fontaines DC pour un engagement similaire. Au passage, les élus locaux de droite ont dû en manger leur chapeau. Au-delà de ces considérations politiques, big up aux Eurocks pour ces nouvelles découvertes irlandaises dans une journée qui s’est avérée plutôt enthousiasmante au final. Encore un peu de Justice aux abords de la Grande Scène sous une pluie battante et that’s it.
Une fois de plus, la petite mélancolie, à l’heure de quitter ce bel écrin du Malsaucy. Un an à attendre avant la prochaine édition. Je suis d’un naturel plutôt casanier et n’apprécie pas vraiment la foule en général. Mais à chaque concert, à Belfort, ou dans toutes les salles que je fréquente le reste de l’année, il y a cette même quête curieuse, un poil obsessionnelle, du moment de magie, de l’instant de grâce, de l’énergie collective qui embrase l’air ambiant ou de l’émotion qui suinte de chaque parole. On est bien mieux dans un concert que le cul vissé sur son canapé. La semaine suivante, je poussais jusqu’à Zurich pour la dernière tournée des suédois de Refused et un concert fou. J’en profite pour leur emprunter ces quelques lyrics:
We need New Noise
New Art for the real People
(Définitivement un chouette programme… et un bon début de réponse à un monde qui sombre dans la folie).
Sonicdragao