Beth Gibbons @ Philharmonie de Paris, 01/07/25

Posted by on 8 juillet 2025 in Live reports, Non classé

Photo du concert à Lyon l’an passé. © Netti Habel

C’était une soirée peu commune ce 1er juillet 2025. D’abord parce que le thermomètre battait des records et tout déplacement s’avérait par conséquent périlleux. Il fallait mériter ce concert et se faire donc un peu violence. Il était pour moi également totalement nouveau de me rendre dans cette grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie, aussi prestigieuse qu’intimidante. Et puis, c’était la première fois que j’avais la chance de voir Beth Gibbons.

Il était tentant de pester contre d’autres points inhabituels, surtout pour quelqu’un qui fréquente assidûment les salles plus confidentielles pour des concerts rock fiévreux. Pas de bière dans la salle, pas de bavardage intempestif (ah, c’est sage, hein), pas de possibilité de filmer avec son portable (même si beaucoup le feront discretos) et donc pas de « regardez les gars, je suis là ! Le son est pourri, je regarderai plus jamais la vidéo mais au moins vous le savez et je le partage avec vous. » Non, le moment se vit, les souvenirs demeurent imparfaits, c’est ce qui les rend frustrants et ils s’estomperont au fil du temps mais c’est aussi ce qui fait la beauté du moment. Enfin, il m’est en outre très inhabituel d’assister seul à un concert et cela participera à rendre cette soirée unique. 

Au préalable, Bill Callahan avait livré de belles versions de ses albums solos et de Smog sans que cela se révèle inoubliable mais nous rappelant (révélant serait plus juste, tant cela ne nous avait jamais frappés sur disque) que sa belle voix grave évoque parfois la nonchalance d’un Lou Reed et, en d’autres moments, la profondeur d’Eddie Vedder. Pas très évident toutefois de jouer seul, assis, sur cette énorme scène et captiver une salle qui n’a d’yeux (si ce n’est d’intérêt) que pour celle qu’il précède. 

Et après le one man show, voici venir un big band, composé de musiciens sûrs de leur force. Je suis avec le groupe, je savoure l’instant, je n’ai aucune distraction futile pour laisser mon esprit vagabonder et m’extirper du moment, je me sens tout petit face à cette salle, ce son gargantuesque, ces artistes accomplis et cette chanteuse grandiose. Pour eux, tout cela n’a rien d’inhabituel bien sûr. La setlist est toujours la même, l’exécution sans doute extrêmement proche, parfaitement rodée mais l’ensemble, pour le novice que je suis, s’avère extrêmement impressionnant.

L’album « solo » de Beth Gibbons, Lives Outgrown, m’avait totalement conquis. Il est joué en intégralité et c’est peu dire que sa dimension est alors tout autre, avec sept membres qui accompagnent la chanteuse avec une élégance folle… Le très spirituel et déroutant « Rewind » se révèle ébouriffant. L’évidente « Floating on a Moment » est d’une beauté rare. L’envolée finale de « Lost Changes », ses sifflements nous propulsent à Monument Valley. « Reaching Out » et ses cordes proposent d’abord quelque chose de fluet et discret qui, soudainement, prend une ampleur digne de fanfare. Les arrangements sont éblouissants de justesse, la grande variété d’ambiances proposée réjouit, les instruments sonnent le feu, chaque attaque de cordes même à la guitare acoustique résonne et affirme avec le plus grand aplomb le rôle primordial que chacun joue dans la partition… Et évidemment, toujours ce timbre unique, fragile, peuplé d’incertitudes. Beth Gibbons est une reine, au centre de tout. Mais elle n’est rien sans eux. L’élégiaque « Mysteries », issu de Out of Season avec Rustin Man, est aussi sublime qu’espérée, et lorsque Beth se met à pousser subitement des cris déchirants, loin du micro mais transperçant chacun d’entre nous, on la regarde pour s’assurer que c’est bien de ce petit bout de femme que proviennent de telles envolées magistrales, la même qui murmurait peu avant. Les frissons, ça vient sans qu’on les contrôle, ce n’est plus si fréquent et toujours une divine surprise lorsqu’ils se produisent, quand on affiche des stats affolantes en concerts et qu’on pense avoir tout vu et entendu. Dans un tout autre registre, le très James Bond soul « Tom the Model » souligne là encore la versatilité du big band et son talent protéiforme.

« Oceans » touche au sublime et, bien sûr, il y eut Portishead. En nombre très restreint, on le savait. Et exclusivement issu de Dummy, on le regrettait. Mais ce moment où le groupe revient pour interpréter « Roads » et enquiller avec « Glory Box » (son solo – on l’avait presque oublié -, tout comme son break dub ÉNORME) aura été de ceux qui parachèvent les grands concerts. Rares, uniques.

Pour que tout ne soit pas parfait, il fallait bien la présence de quelques boulets pour venir empiéter sur les instants suspendus et confirmer que l’humanité rime bien souvent avec calamité. Le tocard qui se plante de place, est d’abord sûr de lui, et finit par se faire virer au moment où le concert débute (les mêmes qui, dans les trains de la SNCF, vous sortent « mais si regardez F12 ». « T’es en G28, mec »). Le gars qui filme, à qui on dit de ne pas filmer et qui fait semblant de ne pas comprendre et tape la discute avec la sécurité PENDANT LE DÉBUT DE « Glory Box »… Consternant.

Pour le reste, l’audience évidemment très polie, ne semblait vraiment pas applaudir timidement, pour la forme, mais en réponse à la performance, comme lorsqu’elle se levait spontanément, réellement subjuguée par ce qu’elle venait d’entendre. Give me a reason not to love them. En cherchant bien, on pourra toujours trouver quelqu’un ayant trouvé ça « trop cadré » ou « ennuyeux », s’attendant peut-être initialement à un concert de free jazz ou punk mais pour ceux qui savaient de quoi il en retournait, remplis d’espoir malgré les craintes légitimes exprimées plus haut, on peut parler d’une leçon.

Jonathan Lopez

Setlist : Tell Me Who You Are Today – Burden of Life – Floating on a Moment – Rewind – For Sale – Mysteries – Lost Changes – Oceans – Tom the Model – Beyond the Sun – Whispering Love.
Rappel : Roads (Portishead) – Glory Box (Portishead) – Reaching Out.

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