Squirrel Flower – Tomorrow’s Fire

Publié par le 29 janvier 2024 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Polyvinyl Record Company, 13 octobre 2023)

Pour boucler définitivement 2023, que soient accordés la grâce ultime et le titre honorifique d’œuvre accomplie à Ella Williams alias Squirrel Flower. Tomorrow’s Fire contient dans son écrin d’infimes braises, qui se consument lentement et fondent en bouche comme un shot d’absinthe, tapissant le palais d’une saveur douce-amère.

La beauté ne se pavane pas sous de rupines parures, elle se révèle furtivement, comme échappée d’un soupirail, une lumière vacillante qui se fraye un chemin, un rayon de lune dans l’encre de la nuit. Le chant de Squirrel Flower convoque les harmonies vocales d’Emma Ruth Rundle, de Chelsea Wolfe, de PJ Harvey, de Vashti Bunyan en un recueil personnel décliné en quatre albums et trois EPs. Dans le précédent disque flottait déjà cette mélancolie rugueuse. Il suffit d’écouter « Big Beast » qui, sous son apparence folk, prend soudainement une direction inattendue. Les compositions de Squirrel Flower ne sont pas figées, et ce Tomorrow’s Fire est clairement un fossé avec son prédécesseur.

Derrière l’aspect d’une pochette épurée, l’introductif « i don’t use a trash can » éthéré au possible se fait bousculer par « Full Time Job ». Du shoegaze au folk-rock de « Alley Light », les titres sont d’une efficacité redoutable, on a cette impression d’avoir attendu patiemment des années pour écouter un titre tel que « Almost Pulled Away ». « Stick » s’enfonce dans l’écorce de la peau, avec ses guitares crasseuses, le chant reste indemne, ensorcelant. Squirrel Flower s’est accaparée une singularité par le biais de ses textes, dans lesquels elle aborde la mort, la métempsycose, l’abandon aux rêves (le désarmant « What Kind of Dreams is This? »), le postulat est en quelque sorte de s’ouvrir à l’incertitude permanente. Il faut prendre conscience que nous sommes pris entre deux masses ténébreuses, il nous faut plonger dans la mort ambiante pour comprendre la dévastation du temps, de la décomposition de nous-mêmes. Dans « When a Plant is Dying » les racines ne sont plus dans une terre particulière, chaque bourgeon se régénère, porté par le vent. La détérioration de certains mots est presque toujours le signe d’une réalité qui disparaît. Cette communion du destin avec la nature au sens du connaissable et au sens du mystère révèle certaines choses vis-à-vis de notre propre existence. Squirrel Flower conclut en beauté avec « Finally Rain » et ce passage « if this is what it means to be alive », la vie ne tient qu’à un fil ténu, quelle en est sa signification et sa finalité ? Ella Williams est en tournée aux States. Souhaitons que sa musique puisse nous atteindre ici.

Franck Irle

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