Great Lake Swimmers – Uncertain Country

Publié par le 8 octobre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Pheromone Recordings, 28 avril 2023)

Parmi la poignée de groupes « alternative folk / country » ayant émergé ces vingt dernières années dans le sillage de Calexico, Wilco ou Whiskeytown, pour ne citer que les plus célébrés, les Canadiens de Great Lake Swimmers sont sans doute les plus discrets. En France, ils ont toutefois connu un succès d’estime grâce aux efforts du label Fargo, qui sortit ici leurs deux premiers albums. Je dis « ils » ou « leurs », mais le « groupe » a toujours été essentiellement un véhicule pour jouer les chansons de son leader Tony Dekker, lequel s’est fait accompagner au fil du temps par des formations à géométrie variable. Les débuts sur disque étaient d’ailleurs essentiellement une affaire acoustique, sur laquelle venait se greffer quelques arrangements discrets. Sur scène, hors de son pays, Dekker a souvent dû se résoudre à ne se produire qu’en solo. La musique de Great Lake Swimmers s’est pourtant épaissie de disque en disque, sonnant avec de plus en plus ampleur malgré des moyens relativement limités. En témoigne ce disque, sorti en catimini sur le label Pheromone Records (en licence) il y a quelques mois et qui mérite que l’on s’y attarde un peu.

Dekker, sur son site, présente ce nouvel album comme ayant fait suite à une période d’incertitude. Conçu sur plus de trois ans, l’album serait issu de démos éparses avant d’être réenregistré avec un groupe. On pourrait penser, à lire cela, que l’on aura affaire à un disque un peu bordélique, pas super cohérent, et sonnant peut-être comme une série d’esquisses. Or, dès le premier morceau, on sent qu’il n’en est rien. « Uncertain Country », le morceau-titre, commence par un son d’ambiance, le claquement de baguettes annonçant le début du morceau mais dès que tout se met en place, c’est un son énorme qui arrive à nos oreilles. En quelques notes, Dekker et son groupe savent parfaitement reconstituer les grands espaces qui donnent leur nom à la formation. On pense à Band of Horses, My Morning Jacket ou Midlake, des groupes qui n’ont jamais hésité à aller taper dans le « big sound » pour créer des émotions de taille cinémascope. Il y a quelque chose dans la dynamique du groupe qui relève en effet plus du shoegaze que de la country ou de la folk. La rugosité n’intéresse pas vraiment Dekker, il cherche à empiler les couches de guitare, à harmoniser les voix. Lorsque l’on regarde les notes de pochettes, cependant, on se rend compte que le groupe est essentiellement recentré autour d’un triptyque guitare/basse/batterie et que ce sont surtout les reverbs qui donnent cette sensation-là, ça et la capacité de l’artiste à ménager scientifiquement ses effets, ajoutant des chœurs féminins ou des cordes quand il le faut. Même réduit à sa plus simple expression, avec une guitare, des chœurs et un genre d’orgue dans le fond, sur le très beau « Moonlight, Stay Above », la formation a quelque chose de quasi-liturgique. On se demande si tout cela n’a pas été enregistré à l’église. Le disque comporte quinze plages mais ses 45 minutes sont pourtant parfaitement séquencées avec l’une des plus belles chansons en antépénultième position, avec ce « Respect for All Living Things » ou encore une fois ce sont les chœurs qui apportent les éléments mélodiques les plus intéressants et font monter la sauce. « Am I Floating in the Air », avec ses cordes aériennes, épouse parfaitement son titre et clôt l’album sur une note impressionnante.

Je ne cherche cependant à vous « survendre » ce disque. Il est surtout destiné à plaire à un public de niche, qui n’a pas été si minoritaire que cela dans les années 2000 : celui que l’on trouvait dans les concerts affichant complets de Fleet Foxes ou dans les festivals « Eldorado », avec des groupes comme Megafaun ou Phosphorescent. Cette musique à la fois douce et ambitieuse qui nous a fait voyager des Appalaches jusqu’à l’Etat de Washington se réécoute avec une grande nostalgie et c’est sans doute avant tout à ce public-là qu’Uncertain Country s’adresse. Cependant, on peut aussi plus simplement se réjouir à l’idée qu’un groupe comme celui-ci continue son bonhomme de chemin quand beaucoup de formations de cette période ont splitté (Megafaun), disparu (Phosphorescent), stagné (Band of Horses) ou pris des directions assez déplaisantes (My Morning Jacket). Great Lake Swimmers, lui, continue de traîner son spleen sur les routes du grand nord américain et le périple vaut largement le ticket d’entrée.

Yann Giraud

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