Pleasure Forever – Distal

Publié par le 26 août 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Solid Brass Records, 25 août 2023)

S’il vous prend le désir de réécouter les deux albums de Pleasure Forever, de vous replonger aux sources légendaires du groupe, deux décennies se sont depuis écoulées. Rescapés d’un passé proche et à la fois lointain, les trois membres du groupe réactivent les ombres endormies de leur projet qui semblait enterré sous un épais manteau de glace. Durant cette longue parenthèse, Dave Clifford a officié au sein de Marriages et Red Sparowes avec Emma Ruth Rundle et Greg Burns.

Après cette hibernation, on retrouve les reliefs et les nervures caractéristiques de Pleasure Forever, mais une dichotomie s’est manifestée. Il ne s’agit pas d’un retour passéiste à un âge d’or révolu, « Neolith Nonce » plante un nouveau décor où se croisent des sonorités déformées, claviers survitaminés et chant en état de flottaison. L’effet est immédiat ; hameçonné par ces signaux sonores, où le piano prédomine soutenue par une rythmique furibonde, le trio réussit là où beaucoup de groupes ont échoué. Pleasure Forever maintient cette particularité, celle d’animer des sculptures musicales qui parlent à tous, dans une visée contemporaine. Sur « To the Last Recorded Syllable of Time » (« Jusqu’à la dernière syllabe enregistrée du temps »), l’acoustique vient se frotter aux riffs de guitares et aux voix saturées, la thématique du titre est à ce point descriptive, précise, qu’on s’achemine vers un chef-d’œuvre qu’il faut écouter sans la moindre distraction. « Lexicorpus Grimoire » constitue certainement l’apogée de ces sept titres monumentaux, la voix d’Andrew Rothbard n’est jamais envahissante, elle tisse une trame mélodique où toutes les structures et les instruments étaient inversés, le rôle du chant est ici discret mais placé avec une érudition incroyable. Justement, la pochette incarne la mécanographie du temps, tout ce que vous pensiez comme acquis ne l’est jamais. Pleasure Forever c’est la durée concise de chaque composition, digne d’un travail d’orfèvre, mais dans une dimension infime et sans limites.

Sur une photo promo, Dave Clifford a une carte en main. Devant le groupe, l’autel des vanités, le répit de la vie sur la mort, une conjuration. Chaque mot, chaque symbole et chaque titre a une signification en lien avec le titre de l’album. D’un point de vue central, Pleasure Forever décuple cette distance avec tout ce qui peut être définissable. Distal distille chaque élément, tout ce qui est quantifiable devient infini. Une prise de conscience aigüe de vaines tentatives d’insérer ce qui est exigu et sans issue dans l’immensité et le flou de procédés hasardeux, la fugacité est l’émerveillement du quotidien.

Franck Irle

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