Interview – Protomartyr

Publié par le 1 décembre 2015 dans Interviews, Toutes les interviews

Le contexte était forcément très particulier. Seulement cinq jours après le drame du Bataclan, le doute était de mise à propos de la tenue du concert de Protomartyr au Point Éphémère. Et puis la (bonne) nouvelle est tombée : concert maintenu, interview également.

De quoi se changer les idées, résister à notre façon, et échanger avec un groupe qui a sorti il y a quelques semaines l’un des albums les plus immédiats et addictifs de l’année.

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Vous venez de Detroit, vous jouez du post-punk. Comment ça se fait ? C’est en réponse à tous ces groupes de merde comme MC5 ou les Stooges ?

(Ils éclatent de rire) Greg Ahee (guitariste) : elle est bonne ! On déteste la musique de Detroit ! Non (rires) ! Mais on ne s’est pas dit initialement « faisons un groupe post punk », c’est simplement ce qui est arrivé. Si on fait un nouvel album et les gens disent que c’est du reggae, ok très bien, j’imagine que c’est ce qu’on a fait. C’est simplement le résultat du mélange de chacun de nous, de toutes nos influences, et il se trouve que les gens considèrent que c’est du post punk.

Alex Leonard (batterie) : je ne pense pas qu’on pourrait faire accidentellement un album de reggae.

Non, vous n’êtes sans doute pas prêts pour un disque reggae. 

Greg : on ne veut pas être un groupe qu’on n’aime pas, on cherche évidemment à faire la musique qu’on apprécie. La première fois qu’on nous a dit qu’on faisait du post punk, on a réagi en disant « ah oui vraiment ? Aucune idée. » On ne se considère toujours pas ainsi, je comprends tout à fait pourquoi c’est le cas mais ça n’a jamais été une volonté initiale.

Vous êtes proches d’autres groupes de Detroit ?

Greg : oui on a beaucoup d’amis de Detroit. Tyvek notamment, c’est même la raison pour laquelle Joe et moi sommes devenus amis. Il était très ami avec les membres de Tyvek, moi aussi et on parlait beaucoup d’eux. On adore tous ce groupe, c’est un des meilleurs groupes de Detroit.

Alex : Scott est un ancien membre du groupe.

Scott Davidson (basse) : oui j’ai joué de la basse pour eux pendant 5 ans.

Alex : je n’ai pas de vrai lien avec eux, je suis un peu l’intrus.

Joe Casey (chant) : tu pourrais faire leurs chœurs (rires).

Greg : il y a aussi le groupe Growing Pains avec qui on a fait quelques dates en commun, un groupe cool, de bons amis. Il y a beaucoup d’excellents groupes à Detroit en ce moment, et la plupart sonnent différemment. Je crois qu’il y a une mentalité similaire dans la scène rock de Detroit, la scène punk. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une scène revival de rock garage, où en dehors de quelques excellents groupes tout le monde sonne pareil. Ce n’est pas le cas à Detroit et je m’en réjouis.

“Ce qui me frustre le plus c’est quand des gens me disent « oh ça aurait pu sortir en 1978 ou 1981… » car ce que j’ai essayé de faire, c’est de sonner 2015”

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© Emilie Trindade

Tu parles de ces scènes revival. Justement il y a beaucoup de très bons groupes post punk en ce moment. Il y a le revival post punk, psyché, garage… Tout revient toujours par vagues, vous êtes d’accord avec ça, que la musique semble être un éternel recommencement ?

Scott : oui, je suis d’accord. Le temps est un cercle continu.

Greg : je crois surtout que ce qui est cool est cyclique. Si les gens veulent affirmer qu’il y a un revival post punk en ce moment… Il y avait beaucoup de bons groupes post punk il y a 10 ans qui n’ont peut-être pas retenu l’attention qu’ils méritaient car la presse ne voyait pas encore cela comme un mouvement. Mais je suis sûr que quand certains groupes atteignent un certain niveau de popularité, d’autres groupes sont alors influencés. Ils veulent sonner pareil, quand j’étais gamin, il y a des groupes que je voulais imiter, j’imagine que ça crée donc des cycles. Mais je ne sais pas comment c’est décidé.

Joe : oui, les nouvelles générations découvrent des musiques qui deviennent importantes…

Greg : puis ça stagne… Puis ça revient. Mais ça devient inintéressant et c’est regrettable si on n’ajoute rien à tout ça. Ce qui me frustre le plus c’est quand des gens me disent « oh, ça aurait pu sortir en 1978 ou 1981… » car ce que j’ai essayé de faire c’est de sonner 2015. Il y a des influences anciennes mais je ne veux pas faire quelque chose qui soit la copie conforme d’un ancien groupe.

Protomartyr_Zak Bratto_2015_1 onlineÇa vous arrive encore d’entendre un groupe pour la première fois et de vous dire « wow ! Je n’ai jamais entendu un truc pareil ! »

Greg : ouais, le groupe Spray Paint d’Austin, Texas. Je n’ai rien entendu de tel, ils sont incroyables. Ce sont des amis, nous avons tourné avec eux. Et c’est toujours ma plus grosse influence en tant que guitariste, mais ce que je fais est beaucoup moins cool qu’eux. Ils sont vraiment excellents.

Joe : je suis vieux maintenant, je ne peux pas entendre quelque chose qui ne me rappelle rien d’autre, mais il s’agit plutôt de comment ils s’en démarquent. Quand un groupe en rappelle un autre, il faut chercher ce qu’ils font différemment, d’où sort ce nouveau son…

Parlons un peu de votre dernier album. Le premier a été enregistré en 4h…

Joe : le premier… (il réfléchit)

C’est ce que j’ai lu. Vous avez peut-être menti !

Scott : c’était très rapide.

Greg : je me rappelle très bien de cette journée. On est allé au studio, on a commencé à 1h ou 2 et on a fini à 5 ou 6h.

Vous n’aviez peut-être pas le droit de rester plus longtemps dans le studio.

Greg : si, on avait le droit !

Joe : il a fait à manger ensuite.

Alex : on est revenu et on a fait deux autres morceaux cependant.

Greg : oui on est revenu un jour de plus pour le mixer.

Joe : oui, ça n’a vraiment duré que 4h.

Pour le second ça vous a pris 3 jours, combien de temps pour celui-ci ?

Greg : sept jours !

Nouveau record !

Greg : ouais !

Joe : mais il y a 4 jours où on n’a pas fait grand chose donc on a fait autant d’efforts que pour le précédent, c’était simplement plus étalé, plus relax. Enfin pas si relax…

Vous n’êtes pas encore une grosse machine surproduite…

(Rires) Joe : oh non.

Alex : pour le prochain, 400 jours ! (rires)

“Avant je ne me préoccupais pas de comment on sonnait, je voulais avant tout jouer live. Et advienne que pourra…”

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© Emilie Trindade

Plus sérieusement, avez-vous de plus en plus confiance en vos capacités et par conséquent êtes-vous de plus en plus exigeants envers vous-mêmes ?

Joe : oui, les deux. Et c’est une bonne chose. Je pense toujours que je ce que je fais est horrible et je veux m’améliorer. Je suis tout de même fier de ce que j’ai fait, mais pas suffisamment pour cesser de vouloir être meilleur.

Greg : c’est pareil pour moi. Avant je ne me préoccupais pas de comment on sonnait, je voulais avant tout jouer live. Et advienne que pourra. J’étais confiant à ce niveau mais c’était des conneries. Maintenant j’accorde beaucoup plus d’importance à la façon dont on sonne et je crois qu’on sonne mieux. Mais je suis également beaucoup plus nerveux et conscient de ce que j’ai pu faire de moins bon donc ça me rend un peu moins confiant.

Le premier album s’appelait No Passion, All Technique, c’était censé vouloir dire l’inverse non ?

(Rires) Joe : oui, d’une certaine manière. On n’avait clairement pas trop de technique, pas énormément de passion non plus.

Greg : c’était surtout un titre intéressant et marrant.

Joe : il fait réfléchir.

Greg : les gens l’interprètent à leur manière, ils peuvent dire que ça veut dire l’inverse, que l’on a que de la passion et aucune technique. Ou alors que de la technique et pas de passion, ça fait très je-m’en-foutiste mais c’est l’idée.

Alex : on n’a peut-être pas choisi le bon titre, on peut l’inverser.

Oui plus tard vous pourrez avoir un album All Passion, No Technique

Greg : oui, voilà.

IMG_7746J’ai été surpris que vous n’ayez pas choisi « Pontiac 87 » comme single. Quand je l’ai entendu pour la première fois, je trouvais qu’il sonnait comme un hymne immédiat…

Joe : on nous l’a suggéré, mais d’autres morceaux également. On était tous d’accord que « Why Does It Shake  ?» était un single.

Greg : mais ce n’est pas évident. Ça aurait pu être…

Joe : beaucoup de titres différents. Mais je suis content que lorsque les gens entendent « Pontiac 87 » en concert, ils l’adoptent très vite et écoutent ensuite l’album pour retrouver ce morceau.

Greg : on ne réfléchit pas beaucoup au choix des singles. On essaie de faire des albums où chaque morceau pourrait être un single. On ne veut pas avoir de morceau de remplissage ou de simple prétexte de transition avec une autre chanson. Je veux que ça soit cohérent et que ça corresponde au contexte. Mais c’est bien que ça fonctionne également seul, isolé du reste de l’album. Mais c’est compliqué pour nous de réaliser ça, on n’a pas le détachement nécessaire pour voir ce qui peut faire un bon single pour d’autres personnes. On nous a dit « Dope Cloud », on a dit « d’accord, très bien ». La seule chose importante pour nous est d’apprécier le single choisi car on sait qu’on va devoir le jouer quasiment tous les soirs.

Donc là ça va, vous aimez jouer tous les morceaux de l’album ?

Greg : Oui mais généralement au fil de la tournée, il y a des morceaux qu’on apprécie jouer davantage que d’autres…

Joe : ça évolue au fil du temps. Il y a des morceaux du second album dont j’avais marre et maintenant je me dis « oooh, on devrait rejouer celle-ci ». Ça change constamment.

La chanson « Ellen » est très personnelle pour toi, Joe, très émouvante aussi. C’est ton père décédé qui parle de ta mère et dit qu’il l’attend. Pourquoi as-tu écrit à ce sujet, tu ressentais le besoin d’exprimer ça ?

Joe : oui je cherchais à écrire des choses personnelles. Je l’ai déjà fait dans le passé mais dans ce cas, c’est parce que la musique qu’ils m’ont proposée était très épique et émouvante et je souhaitais « honorer » cela. Les problèmes de ma mère (elle souffre de la maladie d’alzheimer, NdR), tous ces soucis qui m’ont beaucoup occupé l’esprit sont ressortis dans ces textes, ils étaient quelque peu camouflés derrière des artifices. Je leur ai donc proposé cette chanson « elle s’appelle Ellen et est à propos de ma mère », et voilà. La musique fonctionne bien avec les paroles, et c’est très bien. Je ne veux pas faire ça tout le temps, c’était presque une expérience pour moi, d’essayer de me livrer émotionnellement. J’espère que le résultat est bon.

Oui c’est une belle réussite. Vos morceaux ont beaucoup de riffs répétitifs, de mots ou phrases que tu répètes à plusieurs reprises, d’où ça vient ? De longs jams où vous jouez certaines phases en boucle quand vous répétez ?

Joe : en ce qui concerne les textes, c’est simplement l’envie de répéter une phrase qui me plait, j’aime les morceaux qui ont ce genre de choses. Mais ça vient parfois effectivement de jams et riffs répétitifs.

Greg : j’aime jammer mais pas trop longtemps, après ça me soule. J’essaie de changer régulièrement de riffs pour ne pas que ça m’ennuie, que ce soit avant ou après l’enregistrement. J’essaie de garder une certaine fraicheur. Quand un riff se répète, c’est qu’on l’a bien testé mais je n’imagine pas rejouer 100 fois la même chose.

“Kelley Deal ? Je l’ai secourue des toilettes !

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© Emilie Trindade

Vous avez la réponse à : « Why Does It Shake? » (titre d’un morceau du dernier album, qu’on peut traduire par « pourquoi ça secoue ? », ndr) ?

(Rires) Scott : c’est le groove baby, je crois que ça vient de la basse (rires).

Vous avez récemment enregistré avec Kelley Deal (des Breeders, soeur de Kim, ndr). Comment ça s’est fait ?

Greg : je l’ai secourue des toilettes !

Joe : c’est vrai.

Alex : elle était coincée dans les toilettes, Greg lui a sauvée la vie.

Haha belle anecdote !

Greg : quant à notre rencontre, on a joué au concert South By Southwest où il y avait son groupe R. Ring avec Mike Montgomery, c’était une soirée Sub Pop et on leur a parlé. Elle nous a dit qu’elle avait entendu parler de notre groupe. Ils ont vraiment aimé notre concert, on a beaucoup apprécié le leur aussi. Je trouve R. Ring vraiment incroyable, Kelley et Mike ensemble c’est vraiment génial. Donc nous avons apprécié respectivement notre musique et nous sommes restés en contact. Puis Mike m’a suggéré « hey mec, que dirais-tu de faire un split, un 45 tours ? ». Bonne idée. On a enregistré ensemble à Cinccinatti et ça a mis un temps fou à sortir à cause d’un problème de pressage. C’est sorti environ quatre mois après. En tout cas, ils sont tous les deux géniaux et c’était très fun de bosser avec eux. On a beaucoup aimé passer du temps avec eux. C’est le plus important avant de se lancer dans ce genre de projets.

Enfin, c’est difficile d’éviter le sujet, vous avez choisi de venir jouer ce soir après ce qu’il s’est passé vendredi. Vous pensez déjà que ce sera une soirée particulière ?

Greg : j’espère que ce sera une soirée particulière pour le public, ce serait bien de leur apporter de la distraction et du soutien en solidarité contre cette horreur d’autant plus que c’est un concert de rock qui a été attaqué. J’espère donc que ce sera bien pour le public, qu’ils verront qu’ils peuvent encore venir ensemble à un concert de rock sans avoir peur. Pour moi c’est le plus important, je n’ai pas d’attente particulière, j’espère juste leur apporter satisfaction.

Joe : oui, on est tous ensemble face à ça. Le moins qu’on puisse faire est de montrer notre soutien, on sait à quel point c’est dur, qu’il faudra du temps à tout le monde pour guérir, tout ce qu’on peut essayer c’est d’avancer, revenir à des choses positives et c’est ce qu’on va faire ce soir.

Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux français, et au public qui vient vous voir ce soir ?

(Ils réféchissent)

Peut-être ce que vous venez de dire !

Oui (rires)

Greg : on n’a rien de spécial à dire.

Joe : on est aussi troublé que tout le monde.

Alex : on veut s’assurer que le concert sera un bon moment…

Joe : on ne veut pas se montrer indélicat en venant jouer, si certains préfèrent être en deuil, on comprend ça. On ne veut pas débarquer comme un groupe américain « let’s rock’n’roll ! ». On veut être compréhensif par rapport à ce qui se passe. Le promoteur et la salle nous ont dit qu’ils voulaient faire le concert, parfait on veut le faire aussi. Mais s’ils avaient dit « ça nous parait inapproprié », on aurait respecté ce choix également.

Entretien réalisé par Jonathan Lopez

Merci à Antoine Corman de PIAS

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