Alice In Chains – Alice In Chains

Publié par le 12 novembre 2015 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

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(Columbia, 1995)

L’album sans nom, le dernier d’Alice In Chains en formation originelle est, à tort, méprisé par certains qui ne jurent que par Dirt, leur chef-d’œuvre unanimement reconnu voire par Facelift, premier essai moins calculé, plus brut de décoffrage (et surtout moins maitrisé). Pourtant il y a là quelques-uns des meilleurs morceaux du groupe et il serait fort malvenu de le dédaigner.

Le fameux “Tripod/chien à trois pattes” de la pochette, qui répond au doux nom de Sunshine, n’est autre que celui de Jerry Cantrell. Un éclopé pas au mieux de sa forme, et ce n’est pas peu dire qu’à l’époque Alice In Chains n’est guère plus fringant. Layne Staley est évidemment au cœur du “problème”, englué dans ses problèmes de toxicomanie. Annulation de concerts, éparpillement des membres dans divers projets pas forcément indispensables, Alice In Chains n’est clairement pas le groupe soudé qu’il fut autrefois. Début 95, on ne sait d’ailleurs plus vraiment si on peut encore employer le mot “groupe” pour les qualifier. Heureusement Cantrell maintient, bon an mal an, le navire à flot en continuant de composer. Et au printemps, Staley est invité à rejoindre la bande en studio.

Il n’est pas encore tout à fait le fantôme errant qu’il deviendra dans les longues dernières années de sa vie mais ça ne saurait tarder. Et à l’écoute de ce disque, on a comme un sentiment permanent de chape de plomb au-dessus de notre tête.

Le riff de “Grind” sonne comme une sentence terrible et implacable. Et Staley d’enfoncer le clou avec un chant hanté et narquois. Dans le clip, le chanteur joue aux morts vivants, méprisant les rumeurs qui l’enterre plus tôt que prévu. Les textes sont du même tonneau “in the darkest hole, you’d be well advised not to plan my funeral before the body dies”. Ouverture cinglante, Alice In Chains frappe avec violence et nous met d’emblée la tête dans le sac.

“Brush Away” fait dans le métal pur et dur. Il y a un monde entre le “son de Seattle” à la Mudhoney et celui d’Alice In Chains. Ce n’est pas vraiment une révélation. Sans être le morceau le plus marquant du disque, il contribue à poser cette ambiance sacrément glauque dont on aura bien du mal à se défaire.

On poursuit les hostilités avec “Sludge Factory”. Lenteur et damnation. Cantrell fait gémir sa guitare suffocante, pour lui faire cracher un solo aigrelet au milieu de ce marasme planté par le duo Sean Kinney (batterie)/Mike Inez (basse). Ça suinte le cadavre dans les parages. Oubliez toute volonté de survie : “your weapon is killed“.

Un peu plus bluesy sur les bords, “Heaven Beside You” nous refilerait presque le sourire. Cantrell est au chant, ceci explique peut-être cela. La beauté du morceau y est sans doute aussi pour quelque chose.

Trêve de réjouissances, Alice In Chains n’est pas venu là pour faire griller les chamallows au coin du feu. “Head Creeps” arrive avec son lot d’idées malsaines. Cantrell tord ses cordes dans de longs bends autant que Staley tord ses cordes… vocales. On jurerait presque voir les vers grouiller au milieu de la dépouille des vieux grungeux. Mais ceux-ci ont encore bien des cauchemars à nous conter.

Sur “Again”, Cantrell nous plante un riff implacable dans les esgourdes et Staley y va de son ton menaçant avec ses “hey !” qui semblent prendre à parti l’auditeur pour ne pas le laisser respirer. Le décalage est énorme avec les chœurs presque enfantins du refrain (“toop toop yeeeah“) mais ces gens-là ne peuvent-ils pas tout se permettre après tout ?

Après une telle hausse de cadence, retour à un tempo plus tranquille. Les harmonies vocales fantastiques de “Shame In You” rappelle que ce duo n’avait pas d’égal et que Layne Staley dégageait une classe inégalable. Il va sans dire qu’il s’agissait d’un des plus grands vocalistes de tous les temps. Et c’est assez triste que cet état de fait ne soit pas davantage reconnu. Vous pouvez compter sur moi pour le répéter à chaque chronique d’Alice In Chains.

Cette merveille de ballade nous a également permis d’entrevoir un tout petit peu d’énergie positive, il est donc grand temps de broyer de nouveau du noir. “God Am” se charge de nous replonger dans la mélasse, non sans nous offrir au passage une mélodie qui touche au cœur et marque durablement.

On ne peut pas en dire autant de “So Close”, clairement un ton en dessous. Rythmique quasi punk sur certains passages du titre et on se rend bien compte que ce n’est pas le terrain de prédilection du groupe.

Ce léger moment de faiblesse est immédiatement rattrapé par “Nothin’ Song” qui, comme son titre l’indique, est rempli de bon esprit et de joie de vivre. Je vous laisse, je vais me pendre et je reviens.

Non allez, j’écoute quand même les deux dernières. Plus apaisés “Frogs” et “Over Now” sonnent comme des échos de Jar Of Flies et Sap, parenthèses lumineuses précédant cet album, et comme un avant goût du (fantastique/exceptionnel/extraordinaire) live Unplugged qui sera donné un an plus tard. Osmose parfaite entre ses deux leaders naturels, ils procurent d’intenses moments de bonheur cérébraux. Nul besoin de faire hurler ses instruments quand vous êtes portés par deux voix d’exception. Les arrangements travaillés de “Frogs”, ses boucles finales nous plongeraient presque dans un état semi-hypnotique. Staley parle d’”expiration date“. Pour son groupe ?

En tout cas, il est assez troublant que le dernier morceau « Over Now » soit inauguré par une cérémonie funéraire… Le groupe avait-il décidé d’en finir avec cet album studio, indépendamment du sort funeste de Layne Staley ? On ne le saura jamais. On sait en revanche que cette dernière offrande fait partie des nombreux titres inoubliables livrés par Alice In Chains. “We pay our debt sometimes” chantait Layne. Il a payé un lourd tribut, et nous de même (toutes proportions gardées…) en nous voyant privés d’un groupe de cette trempe…

JL


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