Wendy Eisenberg – Auto

Publié par le 30 octobre 2020 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Ba Da Bing, 16 octobre 2020)

Wendy Eisenberg est de ces artistes qui semblent vivre plusieurs vies à la fois. Repérée en 2014 par John Zorn alors qu’elle était étudiante au Conservatoire de la Nouvelle-Angleterre, elle s’est rapidement fait un nom dans le milieu du free jazz et des musiques improvisées et elle s’est surtout construite une réputation de guitariste prodigieuse qui lui valut, très tôt, d’être comparée à Marc Ribot, notamment, et à Mary Halvorson, évidemment.

En parallèle, quand elle ne traine pas avec Zorn et Matt Mitchell, ou quand elle n’enregistre pas avec Trevor Dunn et Ches Smith (fantastique album The Machinic Unconscious), elle publie régulièrement des disques d’indie rock lo-fi, enregistrés généralement seule dans sa chambre (Time Machine en 2017, et plus récemment le très réussi Dehiscence enregistré en plein confinement). Elle se fend également de pamphlets de noise experimentale avec son groupe Birthing Hips (deux albums complètements fous, No Sorry en 2016 et Urge To Merge en 2017) ou encore du post punk avec son autre groupe, Editrix (un EP en 2019) – énumération non exhaustive.

Aujourd’hui, son nouvel album, Auto, nous la présente, au premier plan, attifé de son hoodie d’indie rockeuse, mi-chieuse, mi-branleuse, avec toutefois, en second plan, un vernis jazz qui fait la liaison avec l’autre versant de son œuvre. Nous sommes loin du free pratiqué avec Trevor Dunn, mais il y a quand même ce toucher, cette respiration particulière à la musique jazz et à la musique improvisée. Par ailleurs, on pense parfois à Nels Cline (Wilco) ou à Gastr del Sol, et Tim Buckley n’est jamais très loin. La voix, en revanche, nous fait penser à celle de Rosie Cuckston, sans le Phare, ou à celle de Julia Holter, sans les Vagues. D’ailleurs, jamais jusqu’à présent, son chant n’avait été autant mis en avant, si bien que sa guitare peut paraître, elle, étrangement en retrait, si on n’est pas attentif.

Auto est un album moins facile d’accès qu’il n’y parait au premier abord et il faut y revenir sans relâche pour en percer la première couche. Au fil des écoutes, plusieurs motifs dissimulés jusqu’alors, apparaissent. Ce qui se présentait comme un charmant nouveau chapitre d’une carrière déjà passionnante, se révèle petit à petit d’une richesse et d’une profondeur qui nous pousse à le remettre obstinément chaque fois qu’il se termine. Il a fini par nous devenir indispensable en malmenant notre humeur, en la faisant passer du noir au bleu, du jaune au mauve, du A au E. On s’imagine, à force d’écoutes, résoudre l’énigme posée, sachant que c’est un jeu de dupe, raison pour laquelle on y retourne avec tant de gourmandise..

Formellement, il est difficile de ressortir un titre plutôt qu’un autre (“Genre Fiction”, “No Such Lack” peut-être ? Notre côté mélancolique). En ça, l’album est d’une grande homogénéité, quand bien même il offre de nombreux contrastes. Il faut attendre le mitan de l’album et le titre “Futures” pour que la guitare nous fasse croire un instant qu’elle va s’énerver. On reste à la frontière sans que cela ne pose problème sur le moment. Il y a cependant un grain de sable impossible à occulter. Ce n’est que bien plus tard, après s’être suffisamment désaltéré à cette source, que l’on peut se permettre de prendre un peu de distance pour tenter de se figurer quel est ce petit truc qui nous gène, malgré tout le bien que nous pensons de cet album et malgré ce besoin, évoqué plus haut, d’y revenir sans compter. Il nous a fallu du temps pour réaliser que Wendy Eisenberg nous donnait l’impression de s’être réservé et d’en avoir gardé sous la pédale. Tout à coup, nous la soupçonnons de timidité coupable pour n’avoir à aucun moment joué la carte de la dissonance qu’elle maîtrise pourtant avec grâce et talent. Traversé par un nuage noir, on se dit qu’elle pouvait aller plus loin, frapper plus fort, faire davantage de bruit.

Alors parce que la promesse est engageante, Auto se doit d’être un disque charnière, un passage vers quelque chose de plus grand. Il doit être le disque qui met fin à la dispersion, aussi passionnante soit-elle, et qui lance Eisenberg sur le chemin de son chef d’œuvre. C’était presque le cas ici mais il reste encore une marche à gravir. En attendant qu’elle le soit, on ne boudera pas longtemps notre plaisir et on relancera encore le disque sans qu’aucune lassitude ne se fasse sentir malgré notre légère réserve finale. Nous verrons bien si le prochain album répondra à toutes les attentes suscitées par celui-ci.  

Max

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