Beastie Boys – Paul’s Boutique

Publié par le 31 juillet 2019 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(Capitol, 25 juillet 1989)

Après le carton aussi phénoménal qu’inattendu de Licensed To Ill, Beastie Boys regagne les studios en 1988 pour écrire le deuxième chapitre de sa jeune histoire. L’idylle avec Def Jam a fait long feu, les Beastie se sont laissés séduire par les sirènes de Capitol et ont quitté leur Grosse Pomme natale pour la cité des anges. Tout est allé très vite, les attentes sont désormais immenses et il n’est plus question de regarder derrière. Pas question non plus de rester assimilés à une bande de petits cons à l’humour douteux (la bite géante gonflable présente sur toute la tournée digne de rock stars de Licensed To Ill a marqué les esprits…) bons qu’à pondre quelques tubes et à prôner le droit de faire la fête en toutes circonstances (« you gotta fight… », vous voyez hein).

Alors non, les Beastie ne se sont certainement pas transformés soudainement en hommes d’affaires implacables et en astrophysiciens chiants comme la pluie. Les textes de Paul’s Boutique regorgent une fois de plus (et encore plus) de traits d’esprit, de fraicheur et spontanéité. Sans oublier des références multiples aux légendes du rock (Elvis, les Beatles, Hendrix, Dylan…). Les trois semblent s’arracher le micro des mains pour compléter les propos du poto et à la production, il y a la volonté de franchir un cap. Ce sont les Dust Brothers, prodiges du sampling, qui furent chargés de cette lourde tâche. Et à nos oreilles, la collaboration coule de source. Les Beastie se sont trouvés de parfaits alter ego dans le registre de la coolitude absolue, avec des sons plus groovy et moins agressifs que sur son prédécesseur.

Les samples fusent de toutes parts, se répondent entre eux, forment un kaléidoscope passionnant illustrant parfaitement l’érudition musicale de nos anciens punks devenus stars du rap. Tout y passe, de Led Zep à Sly & The Family Stone, en passant par Alice Cooper ou Kool&The Gang, sans oublier les Meters, James Brown, Run DMC… Ça coûtait moins cher les samples à l’époque…

Après une intro adressée aux demoiselles (« To All The Girls ») (peut-être dans le but d’effacer cette image misogyne drainée par le peu finaud « Girls » de l’album précédent), un roulement de batterie annonce « Shake Your Rump ». Funky à mort, bourrée de breaks qui font travailler les articulations, cette dernière invite finalement à bouger ta croupe sur ce refrain au son électro aussi étrange que massif. Ça ne fait que commencer mais c’est déjà la promesse d’un disque qui ne tient pas en place, un disque aussi limpide que complètement débridé. On trouve de tout dans la boutique de Paul, dans tous les recoins. Ça respire le funk, la soul, le jazz, mais pas seulement.

On remue frénétiquement sur « Hey Ladies » (encore elles) et ses bongos, sa guitare funky, on demeure interloqué par le délire country débile de « 5-Piece Chicken Dinner » avant d’encaisser la heavy « Looking Down The Barrel Of A Gun » où les flows ultra énergiques de Mike D, Ad Rock et MCA (RIP) contrastent radicalement avec la lenteur de ce riff léthargique. Et on repart comme en 40 sur le groove délicieux de « Car Thief ». Les Beastie se paient même le luxe de piller les Beatles sur l’audacieuse « The Sounds Of Science » en allant gratter des samples de « Back In The USSR », « The End » et « When I’m Sixty-Four » aux quatre fabuleux. Mike D s’en amusera plus tard « qu’y a-t-il de plus cool que d’être poursuivi en justice par les Beatles ? ». Les Beatles eux-mêmes auraient pu rétorquer “qu’y a-t-il de plus cool que d’être repris par les Beastie ?“. Ce même Mike D, inspiré par son quotidien, a consacré une chanson à « Johnny Ryall », ancien musicien rocksteady fauché par son goût pour la boisson et enflé par les maisons de disques (selon ses dires), devenu sans abri errant quotidiennement devant son appart’. Alors que les textes des Beastie sont rarement à prendre au pied de la lettre, celui-ci se contente de raconter l’histoire de cet homme avec qui ils échangeaient régulièrement, sans une once de dénigrement, bien au contraire (« He’s no less important than you working class stiffs »).

L’irrésistible « Shadrach » aurait pu conclure idéalement (le meilleur morceau ? On ne sait plus, tout est dingue) mais en toute logique, c’est « B-boy Bouillabaisse », symbole de cet incroyable melting pop, qui vient porter le coup de grâce. Ce morceau final de 12 minutes inspiré par Sgt Pepper n’est autre qu’un énorme medley de 9 chansons inachevées dans un mix totalement déjanté où on retrouve du beatbox, du reggae, du funk, du rock, et un peu de hip hop pur jus quand même (sur « Hello Brooklyn », notamment)…

Les Beastie se sont bien éclatés, les Dust Brothers ont abattu un boulot de dingue et se sont faits un nom, mais du côté de Capitol, on grinçait bruyament des dents… La major, qui pensait avoir dégoté le Next big thing, a vite déchanté en réalisant que ce trio de garnements fraichement débarqués dans le business n’avait aucune intention de se plier à leurs exigences, et de leur livrer un Licensed To Ill bis. Résultat : strict minimum au niveau promotion et ventes bien en-deçà des attentes.
Mike D, lui, a un autre regret : ne pas avoir retrouvé la « magie » initiale des premiers enregistrements à l’appartement de Matt Dike (celui-là même qui avait servi d’entremetteur entre eux et les Dust Brothers). Finalement, les enregistrements suivants au Record Plant Studios auront coûté une blinde au label mais jamais totalement convaincu le groupe.

Les six EP d’inédits, remixes et faces B sortis à l’occasion des 30 ans du groupe sont sans doute une bonne occasion de réaliser à côté de quoi nous sommes passés… A moins qu’il ne nous donnent simplement l’envie irrépressible de replonger une énième fois dans ce disque qui n’est pas forcément celui qui revient le plus souvent sur la platine car plus expérimental et moins garni en hits que certains de ses successeurs mais demeure une étape fondamentale de l’évolution du trio. Et un marqueur important dans l’histoire du rap et l’art du sampling.

Jonathan Lopez

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