Tar Pond – Protocol of Constant Sadness

Publié par le 18 avril 2020 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

Qu’ils sont forts ces suisses ! Après Ventura et The Young Gods qui occupaient fièrement mon podium l’an passé, au tour de Tar Pond de se poser en candidat sérieux pour jouer les trouble-fêtes dans le classement final. Il est encore bien trop tôt pour se perdre en conjectures mais l’anti-supergroupe comme il aime à se définir, vient là de nous scier sur place en quatre petits titres.

Anti-supergroupe, ça se tient puisque Tar Pond ne comptait dans ses rangs « que » deux anciens membres d’éminents groupes : Marky Eldermann (ex-batteur de Coroner) et Martin Ain, bassiste de Celtic Frost, disparu en 2017, ce qui aurait bien pu mettre un terme au projet, avant que Monica Schori ne reprenne le flambeau. Le reste du groupe est composé des guitaristes A.C. Kupper, Stefano Mauriello et du chanteur Thomas Ott (célèbre pour ses faits d’armes… en bande dessinée). Soit quatre jeunes gens dont vous n’avez probablement jamais entendu la musique (pour votre culture, leurs anciens groupes se nomment Playboys, Beelzebub et Demolition Blues) et que vous ne tarderez pas à adorer malgré leur goût certain pour les atmosphères de fin du monde (tout à fait raccord avec notre quotidien du moment, cela dit). « We’re all gone », déplore d’abord Ott sur fond d’arpèges soyeux dans une vraie-fausse intro avant que « Damn » ne déploie ses riffs enclumes qui s’abattent sur nous tel un fardeau écrasant.

C’est poisseux en diable, d’une lenteur pachydermique, c’est peut-être bien le son qu’on entendra quand la faucheuse viendra nous cueillir. Et autant vous dire qu’on ne s’en plaindrait pas. 13 minutes pour une ouverture admirable, qui malgré son caractère anxiogène, se révèlerait presque réconfortante au fond, du fait d’un Thomas Ott qu’on a l’impression d’écouter depuis 25 ans et qui, lorsqu’il s’adresse à chaque membre de sa famille (« Goddamn brother i love you, goddamn sister i want you, goddamn father i praise you, goddamn mother i kiss you ») semble aussi nous en glisser une, à nous, simples auditeurs subjugués. Après un seul titre, nous voilà donc totalement ensorcelés, prêts à suivre aveuglément ces vieux (?) baroudeurs dans chacun de leurs périples stoner poussiéreux.

Les morceaux sont longs et dépouillés, ne souffrent d’aucun ornement inutile, la production est limpide, sans excès. On prend son temps, on admire les décombres, simplement égayées de quelques soli inspirés venant exhaler toute cette rancœur tenace, cette frustration refoulée, scandée également par un Ott décidément en souffrance (« it’s all over now », « please don’t hurt me » sur la non moins faramineuse « Please », digne d’un cérémoniel Sabbath-ien). Mais lorsqu’une basse rampante laboure tous azimuts et une guitare hypnotique se contente de maintenir une pression constante, il prend soudainement de la hauteur et évoque alors Franz Treichler (The Young Gods) déclamant avec classe et grâce (« Worm »).

Le quatrième et dernier titre, « The Spirit », invite le psychédélisme à la table. La tempête est derrière nous, le calme règne à nouveau et avec lui un brin de mélancolie, renforcé par Kupper qui glisse là encore un solo bluesy à se damner. Tar Pond est donc un anti-supergroupe, composé en partie d’illustres inconnus et Protocol of Electric Sadness soulève logiquement son lot d’interrogations. Qui sont ces gens, bordel ? Pourquoi ne sortent-ils du trou que maintenant ? Comment avons-nous pu nous passer d’eux jusque-là ?

Jonathan Lopez

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