Turbonegro – Sexual Harassment (Scandinavian Leather Recordings)

Publié par le 8 novembre 2014 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

Turbonegro_9_July_1341844653Groupe au parcours tumultueux, Turbonegro a été décrit par son bassiste, Happy Tom, comme le plus gros groupe de la scène indépendante ou le plus petit du mainstream. Que ce soit en Europe (sauf en France…) ou aux Etats-Unis, TRBNGR est durablement installé après plus de vingt ans de carrière, soutenu par une horde de fans fidèles, arborant fièrement les couleurs du groupe : les Turbojugend.

Du fait des problèmes de drogue de son chanteur, le groupe, alors en pleine tournée pour soutenir leur meilleur album à ce jour, Apocalypse Dudes, a splité en 1998. Une manière assez terrible de détruire une carrière au moment où celle-ci commençait enfin à décoller.

Néanmoins, leur héritage n’a cessé de hanter des fans de plus en plus nombreux, jusqu’à les mener à une triomphale reformation en 2002. S’en suivent trois albums et un vrai succès d’estime. Mais en 2010, bis repetita, le chanteur Hank von Helvete quittait TRBNGR, cette fois-ci apparemment pour de bon.

Hank. Hank et son charisme diabolique, Hank et sa voix féline, Hank et son humour dévastateur, Hank et les démons qui coulaient dans ses veines… Pour résumer, considérant que faire partie de Turbonegro le replongerait irrémédiablement vers l’héroïne, il suit un programme de désintox estampillé scientologie et devient membre prosélyte de cette « église ». Le reste du groupe ne veut pas s’y voir affilié et Hank saisit l’occasion pour fuir ses vieux démons.

Leur dernier album en date, cyniquement nommé Retox, sentait déjà clairement le groupe en fin de cycle. Le cœur n’y était plus vraiment, ni le contenu (malgré quelques bons morceaux).

Un nouvel album est donc, en soi, un véritable petit événement. Et nos amis norvégiens savent qu’ils sont attendus au tournant. Outre une formation resserrée avec seulement deux guitaristes, et non plus trois comme c’était le cas auparavant, et un nouveau batteur, le plus grand bouleversement réside dans le changement de chanteur avec l’arrivée de l’Anglais Tony Sylvester aka The Duke Of Nothing. Ancien attaché de presse du groupe en Europe, TRBNGR lui avait proposé de monter sur scène pour quelques morceaux lors d’un concert où les chanteurs se relaieraient. Après une répète, le groupe ravi, l’enrôle finalement comme membre à part entière. Il est donc le lead singer de ce Sexual Harassment.

Les inconditionnels étaient ainsi réellement excités par l’annonce cet album, sans pour autant pouvoir masquer leur inquiétude. Certes, les deux têtes pensantes du groupe que sont Happy-Tom (basse) et (peut-être le meilleur guitariste vivant) Euroboy n’ont pas bougé. Mais dans la « pop music », au sens le plus large du terme, le chant est certainement ce qui est le plus mis en avant, ce que l’on entend en premier. Le guitariste rock a certes un rôle extrêmement important mais en changer induirait un choc certainement moins frontal qu’un nouveau chanteur. Si le changement de line-up fait partie de l’ADN de Turbonegro, Hank incarnait pleinement le groupe depuis 1993. Il en était sa figure de proue incontestable, son emblème. Se plonger dans cet album revenait donc à voir ce que l’on pouvait attendre de ce « presque nouveau » groupe.

Et bien tout commence par un larsen. Court, direct, incisif. Et ça enchaîne sur l’un des tous meilleurs morceaux de l’album, « I Got A Knife ». C’est un véritable coup de hachoir. Pas de solo, les VU-mètres dans le rouge. 2’29 de pur deathpunk, ce son si iconoclaste, entre punk, hard et bubblegum, dont Turbonegro revendique la paternité. « Hello Darkness » suit, et fait écho à l’un de leurs grands morceaux, « Are You Ready (For Some Darkness) » sur Apocalypse Dudes, comme des retrouvailles entre le groupe, son public et sa légende. Le son est toujours aussi rentre-dedans, bien loin des multiples overdubs de Retox. « Buried Alive » ou « TNA (The Nihilistic Army) » (co-signée par Nick Oliveri, grand pote du groupe) sont taillées dans le même bois, avec ces lyrics toujours aussi cool (« Why don’t you buy one of those self-help books?/ I can’t read/ Why don’t you go just slash your wrists?/ I don’t bleed »).

Tout l’album n’est cependant pas de cet acabit. Outre la plaisante et étrange incartade assez kissienne « Shake Your Shit Machine » (sic), notons les dispensables « Tight Jeans, Loose Leash » et « Rise Below » ou la très (trop ?) hard « Dude Without a Face ». Chose rare, Turbonegro se permet un mid-tempo avec la très bonne « Mister Sister » qui semble être un moyen à peine voilé de régler ses comptes avec Hank…

Et Sir Sylvester dans tout ça ? Et bien, le fossé avec Hank est important. Là où ce dernier était sifflant, Tony fait dans le grain. On pourrait peut-être rapprocher sa voix à celle d’un jeune Lemmy Kilmister (Motörhead). Il est présent, fait le boulot, s’implique et s’applique (il expliquera qu’avec son ancien groupe il n’avait jamais fait de concert de plus d’une vingtaine de minutes). S’il faut plusieurs écoutes pour s’habituer à ce timbre qui peut parfois tendre dangereusement vers le hardcore, notons néanmoins que le Britannique est également capable de finesse, comme sur l’excellent premier single « You Give Me Worms ».

Avec le départ de Hank, quelque chose dans Turbonegro a changé, c’est indéniable. Mais une fois le deuil fait, Sexual Harassment donne l’agréable sensation de revenir en partie aux fondamentaux du groupe. On pense à Ass Cobra (le groupe fait d’ailleurs son grand retour en denim), sans pour autant retomber totalement dans l’effrayante crudité de ce dernier. L’héritage de leurs albums plus bubblegum (Apocalypse Dudes et surtout Party Animals) est néanmoins toujours présent et fait maintenant partie de l’identité du groupe. Sexual Harassment est en quelque sorte la synthèse de ces deux facettes de Turbonegro, ténébreuses et dorées, qui en font un groupe si particulier et inclassable.

 

M.A

 

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