Turbonegro – Ass Cobra (BoomBa)

Publié par le 31 mars 2014 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

asscobraSi aujourd’hui Turbonegro est unanimement reconnu comme le plus grand groupe de rock norvégien, sauf en France où ils ont plus une petite notoriété qu’un réel succès, il n’en a pas toujours été ainsi. En 1996, quand sort Ass Cobra, ils sont même plutôt dans la catégorie des illustres inconnus.

Pourtant, le groupe existe tant bien que mal depuis la fin des années 80, a déjà deux albums à son actif, plus une tripotée de singles, changé de chanteur 2 fois et de nom aussi (pour des raisons évidentes) avant de revenir à l’originel. Après un premier album punk hardcore sale mais basique puis un autre violent mais complètement bordélique, après avoir rencontré dans la douleur un public américain pas forcément réceptif et un public européen qui leur reproche de ne pas être assez alternatifs (comprenez d’avoir des têtes de monsieur tout le monde), le groupe s’est posé, a réfléchi et a revu sa posture.

D’abord, jouer en blackface, mais l’idée est passée très vite. Vous voulez de l’alternatif, vous voulez de l’effrayant ? Qu’est-ce qui fait plus peur à un milieu majoritairement masculin qui revendique une virilité bas du front que l’homosexualité ? Du coup, c’est dans une imagerie homo-érotique à outrance, à grand renfort de jean et de moustaches, chapeaux de marin et bergers allemands que Turbonegro fait son grand retour. Quand à la musique, plus de fioritures, on revient à un punk sauvage et sale, sans concession.

Certes, le succès viendra véritablement avec le vrai chef-d’œuvre, Apocalypse Dudes, qui aura la bonne idée de ramener du rock’n roll 70s dans l’équation et ainsi de rentrer dans la légende du rock. Cependant, si j’ai eu envie de vous parler d’Ass Cobra c’est, qu’au-delà d’être la première étape pour permettre à Turbonegro de passer de bon groupe de punk à grand groupe de rock, il s’agit d’un disque viscéral comme on en voit peu.

L’humour est toujours omniprésent (ils avaient bien Derrick en train de se suicider sur la pochette de leur précédent album), mais il s’agit d’un humour noir, grinçant et dérangeant qui va bien plus loin que les blagues grasses et potaches du punk californien. Rien n’est épargné : scatologie (« A Dazzling Display of Talent » sous titrée « Pissfight in Oslo »), sexe et bien sûr homosexualité ( « I Got Erection », l’intro de « I Morgen Skal Eg Daue ») mais aussi pédophilie (« Midnight NAMBLA ») et références nazi  (« Hobbit Motherfuckers », « Turbonegro Hates The Kids »).

Au final, le groupe dresse avec humour une ambiance sombre et inquiétante, à tel point qu’on en finit par ne plus savoir si on doit rire ou avoir peur. Ainsi, « Death Time » explique que serrer la main à Morrissey ou plonger dans la baignoire d’un hippie, c’est signer son arrêt de mort, de même que prendre une douche à Auschwitz, ou « Denim Demon » a pour refrain la tirade très crue « J’ai mon pénis qui bout, et ton trou de balle crie à l’aide », crue donc drôle mais qui évoque en même temps un viol anal, expérience peu ragoutante. Et derrière cette gaudriole trash, on sent un vrai sentiment d’exaspération et de désespoir, peut-être celle d’un groupe professionnel qui, pas loin des 10 ans de carrière, continue à tourner dans des rades craignos, boudé par un public de petits cons prétentieux qui ne voient la musique que comme un moyen d’être à la mode. Les paroles de « Just Flesh » sont peut-être celles qui résument le mieux cet état d’esprit « Fut un temps, je pensais aller loin […] mais maintenant c’est fini/Le puits s’est asséché/Je reste assis à me défoncer la tête/ A envisager le suicide » avant un refrain encore une fois absolument cru « Allez bébé, fesse-moi (ce n’est que de la chair)/Pénètre-moi avec du verre brisé (ce n’est que de la chair) ».

Musicalement, malgré tout, Turbonegro fait son premier pas vers la composition de tubes avec la ballade toute relative « Sailor Man » ou surtout « I Got Erection », pas terrible sur cette version studio mais qui reste un de leurs titres emblématiques. Les références sont multiples, outre les reprises, et distillées intelligemment, montrant à qui veut tendre l’oreille que le groupe a des références variées et connait ses classiques (« The Midnight NAMBLA » renvoie au « Midnight Rambler » des Stones, « Just Flesh » fait une référence à « War Pigs » de Black Sabbath, pour ne citer que ces deux-là).

Ass Cobra n’est pas parfait, avec un son carrément crade et certains morceaux plus faibles (« Black Rabbit » ou la reprise de « Mobile Home »), mais c’est un disque pur, extrême, sale d’une manière que l’on n’a pas l’habitude de voir. Avec leur second degré, les mecs de Turbonegro ont réussi à dépasser en terme de violence musicale tous leurs compatriotes adeptes de metal, qui paraissent incroyablement fades et chiqués en comparaison. Rien que pour cela, la Norvège leur doit beaucoup.

BCG

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