PJ Harvey – To Bring You My Love

Publié par le 8 mars 2020 dans Chroniques, Incontournables, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Island, 27 février 1995)

Il y a quelque chose de fascinant à retracer au gré des anniversaires de ses disques phares la carrière d’une artiste de l’ampleur de PJ Harvey qui semble avoir connu plusieurs vies, toutes plus fascinantes les unes que les autres (les grincheux du fond sont priés de ne pas la ramener). Des choses à redécouvrir, un contexte à restituer, une évolution qui semble limpide avec le recul. 

1995. PJ Harvey s’est fait un nom et une réputation d’écorchée vive qui lui vaudront même de flatteuses comparaisons avec un certain Kurt Cobain. Mais elle tient à s’affirmer davantage, à faire savoir que son répertoire ne se limite pas à ça. Après la rage brute, l’énergie féroce, vitale, crachée à pleins poumons, la lionne indomptée/table se fait soudainement séductrice. Malgré les griffes rentrées, l’appât n’en demeure pas moins redoutable. 

Qui d’autre que ce colossal “To Bring You My Love” pouvait donner son nom à l’album ? PJ souhaite nous donner de l’amour, nous sommes prêts à en recevoir plus que de raison. Pour l’heure, son affection prend la forme d’une tension difficilement soutenable, d’une rage à peine rentrée qui ne demande qu’à dégueuler… 5’31 avant de nous laisser enfin reprendre notre souffle et guetter la suite, non sans appréhension mais avec une grande excitation. La suite nous invite à “Meet Ze Monsta”, un monstre revêtant l’apparence de 4 petites cordes et se révélant pourtant si massif et impressionnant. La guitare, elle, nous renvoie au “Sister Ray” du Velvet, et la rugosité de l’ensemble est du même acabit. Puisqu’on parle du Lou, difficile de ne pas établir de relation entre “Working For The Man” et un fameux titre du génie New-Yorkais (on est sûrs que vous trouverez par vous-mêmes). Le morceau emprunte davantage à l’univers du trip hop, qui sied comme un gant à l’anglaise, elle ne se gênera d’ailleurs pas pour renouveler ce type d’expérience à plusieurs reprises (voir Is This Desire? notamment). 

Sur “Long Snake Moan”, les guitares hurlent à qui veut bien les entendre (en même temps, qui peut bien les ignorer ?) que la PJ rock a encore bien des choses à dire. On se tait, on déguste, on adore se faire refaire le portrait par la dame et se transformer en victime expiatoire.

Mais on l’a dit, Polly Jean a changé. Délestée de ses deux acolytes (Rob Ellis aux fûts et Steve Vaughan à la basse) co-responsables des incandescents Dry et Rid Of Me, elle se lance comme une grande et dote son arc de nouvelles cordes, ses flèches demeurant, elles, toujours aussi affûtées. Exit Steve Albini et son mix (mix, vraiment ?) primitif, place à Flood et John Parish, à l’ambition et la sophistication. Même l’apparence de Polly a changé, elle s’assume en tant que femme, campe un personnage bien plus glamour, à la sensualité affirmée. Enfile une robe d’un rouge éclatant, met du rouge à lèvres pimpant, se laisse emporter par les flots suscitant ainsi les désirs de chacun (on est loin de la punkette négligée exhibant fièrement ses poils sous les bras). Les projecteurs sont braqués sur elle pour de bon, tout le monde est suspendu à sa voix. Et quelle voix ! 

Polly expliquait se concentrer des heures avant les prises vocales pour être sûre d’y mettre l’énergie et la conviction nécessaires. Il semblerait bien qu’elle y soit parvenue. En résulte la fabuleuse “Teclo” d’une intensité incroyable, où elle fait montre d’une force implacable sur les couplets avant de laisser s’exprimer toute sa fragilité le temps d’un refrain déchirant (“let me ride on your grace for awhile“) ou la folk “C’mon Billy” incarnée à 200%, renforcée par des cordes et, forcément, à se damner. Sur “Down By The Water”, elle nous susurre “Little fish, big fish, swimming in the water. Come back here, man, gimme my daughter” et l’impact est aussi grand (si ce n’est plus) que si elle nous hurlait au visage. 

Impossible de ne pas succomber et improbable de s’ennuyer un quart de seconde avec ce disque qui remue les tripes et frappe toujours là où on ne l’attend pas. C’est une guitare hispanisante qui fait le sel de “Send His Love To Me”, avant qu’orgue et violons ne lui donnent une tournure inattendue et pour le moins savoureuse. Tantôt séductrice, aimante ou amante, l’anglaise endosse de nombreux rôles avec brio et est également tiraillée par les questionnements maternels (“I Think I’m A Mother”). C’est à “The Dancer” que revient la lourde tâche de clore cet immense album, tâche dont elle s’acquitte brillamment en distillant une puissante mélancolie appuyée par ses orgues qui jouent à cache-cache avec des guitares tremolos. Polly Jean aurait pu se contenter de chanter divinement bien mais elle y adjoint ses désormais fameux cris AAAH-AAAH-AAAH exagérément appuyés, entre sensualité et espièglerie, que beaucoup n’oseraient tenter, que si peu réussiraient et qui touchent ici au sublime. 

Ce disque est un premier virage, certainement pas le dernier, vers un univers plus travaillé, affirmant un charisme éclatant, comparable à celui de son futur-ex Nick Cave. Ce disque est surtout celui qui entérine définitivement un fait indéniable : PJ Harvey est de la marque des très grandes. Elle n’aura de cesse de nous le prouver par la suite.

Jonathan Lopez

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