La Rumeur – Regain de Tension

Publié par le 14 octobre 2019 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(La Rumeur Records, 18 octobre 2004)

En 2004, La Rumeur sort un deuxième disque, Regain de Tension, deux ans après le culte et acclamé L’Ombre sur la mesure qui a installé le collectif composé des MC Ekoué, Hamé, Mourad (aka Le Paria), Philippe (aka Le Bavar) et des DJ Soul G et Kool M comme la référence hexagonale d’un rap hardcore intransigeant. Curieux de nature après avoir appris que ce groupe de rap tournait avec Noir Désir, je fus foudroyé à la découverte de leur premier disque à l’époque. L’impact a été considérable et m’a réconcilié avec l’idée que je me suis toujours fait du rap. Une musique sans compromis, consciente, politisée voire carrément subversive. Le tout servi par des adeptes de la punchline qui déboite ou du discours froid d’une vérité qui claque comme le maillet de la justice.

Autant l’avouer tout de suite, L’Ombre sur la Mesure me semble être leur masterpiece indépassable. Dans la variété des thématiques, la qualité cinématographique de certaines instrus, et surtout le nombre conséquent de titres marquants (la liste est trop longue, check the tracklist). Pour ajouter au culte de l’œuvre, on se souviendra de la cabale judiciaire (entamée en 2002, pour 8 ans de procédures) de l’Etat contre Hamé, simple rédacteur d’un article fustigeant la répression policière. Combat remporté par Hamé… et pour la liberté d’expression. Il est assez douloureux de constater que finalement 15 ans ont passé et que la triste actualité continue d’alimenter le sombre avertissement du MC.

En 2004, La Rumeur n’a rien perdu de sa farouche indépendance et refuse obstinément de rentrer dans un quelconque rang qui lui serait assigné. En 12 brûlots hardcore, elle persiste et signe. Et prévient d’entrée, « L’Encre va encore couler ». L’ambiance a peu évolué, toujours sombre et froidement vindicative, mais sur des instrus plus synthétiques cette fois-ci. Le propos reste, lui, corrosif et les lyrics toujours tranchants comme des scalpels. Comme sur le tubesque et toujours pertinent « P.O.R.C. (Pourquoi On Resterait Calme ?) ».
Extraits :
Encore du rap de fils d’immigrés étranger à leurs codes
Pourtant si familier aux flics et à leurs brutales méthodes
Au rang des non alignés, qualifiés d’infâmes diffamateurs
Encore et trop d’honneur qui nous distingue des amateurs
C’est La Rumeur, quatre têtes à abattre
Que les censeurs se rassurent, y’a pas que la mesure qu’on va battre
2004 plein de haine, même interdit d’antenne
Des centaines de détracteurs au cul que mon son préoccupe
Je suis de ces braises pas éteintes qui crament dans leurs enceintes
Ou dans les plaintes de ces fils de “tainp”
Assis au banc des accusés puisque absent au banc des priorités
La parole arrachée par les minorités

Le refrain est même carrément troublant vu l’actualité récente :
Pendant que la censure peine de tous ses efforts
Et que d’obscurs syndicats de porcs
En cas d’encombrantes bavures invoquent le coup du sort
Et nous convoquent leur état-major

“Ils nous aiment comme le feu”. Ça c’est sûr qu’on ne se fait pas trop de potes du côté de la société française bien-pensante avec des thématiques aussi sombres que celles abordées par le collectif. “Soldat Lambda”, La Rumeur ne rechigne pourtant pas devant l’adversité et assène sans relâche ses vérités. Repart au combat. Contre le racisme ordinaire, les violences policières, la face sombre de la société française post-coloniale. Même “Quand le diable est au piano” et que l’étau judiciaire se resserre autour du collectif, La Rumeur ne faiblit pas. “Paris nous nourrit, Paris nous affame”. Alors La Rumeur fait appel à la guitare experte de Serge Teyssot-Gay pour se refaire une santé. L’ex-Noir Désir entame ainsi une collaboration qui trouvera d’autres échos sur le troisième album du groupe (Du cœur à l’outrage) ainsi qu’au sein du collectif Zone Libre, supergroupe où Hamé viendra poser ses lyrics sur plusieurs titres.

Au rap français bas du front, égocentré, violent, voire misogyne qu’on cite régulièrement dans les médias traditionnels, La Rumeur assène : “Nous sommes les premiers sur le rap”. “A nous le bruit”. “Pourquoi on resterait calme? » Pas de discussion. La concurrence est écrasée. Le groupe excelle depuis longtemps dans l’usage de la langue. Chaque punchline claque comme le fouet. “Les mots qui me viennent”. La Rumeur n’a pas de concurrent. Ils sont le Rap français. Le dernier encore debout. Celui qui ne tremble pas. “Maitre mot, mots du maître”.

15 ans après, le disque reste un incontournable. Un classique du rap hardcore à la française. Deuxième disque de la trilogie mythique, commencée brillamment avec L’Ombre sur la Mesure et terminée en beauté en 2007 avec Du cœur à l’outrage, ce Regain de Tension (bien que plus faible que ces 2 compères) reste (très) loin devant la concurrence hexagonale. À l’heure où l’on parle plus de clash et autres pseudo-combats avortés entre “poids lourds” du hip hop, on attend toujours (?) un héritier à ce collectif intègre et insoumis, dont l’œuvre et les textes résonnent encore durement en nos temps troublés. Pas un hasard.
“Inscrivez greffier”. “Nom prénom identité”.
La Rumeur. Regain de Tension. Deux zéro zéro quatre.

Sonicdragao

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1 commentaire

  1. Un classique ce ‘Regain de tension’
    « Ils ont prévu d’acheter mon silence avec les ballons de foot de l’équipe de France » hahaha

    Bravo pour la chronique.

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