Primal Scream – Screamadelica (Creation)

Publié par le 18 janvier 2013 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

screamadelica« The album that changed music forever ». Voici comment était présenté cet album quand il est arrivé entre mes mains lors d’une de ces formidables journées à farfouiller dans les bacs londoniens. Forcément, ça donne envie. D’autant que Primal Scream c’est un nom qui parle. Donc je fonça tête baissée. Et je ne le regretta point. Je suis quand même moins catégorique que cette phrase aguicheuse mais je dois reconnaître que l’album était foutrement couillu pour l’époque. Couillu car le groupe de Bobby Gillespie (ancien batteur des Jesus and Mary Chain) n’était pas effrayé par le grand écart et ne se sont pas gênés pour mixer pop-rock et acid house sur cet album, forcément novateur quand il sortit en 1991.

Un sacré pari car avant cela on ne donnait pas cher de leur peau après deux premiers albums pop-rock mous du genou, manquant clairement de personnalité, et à une époque où les Britons en avaient un peu ras-le-bol de toutes ces pales copies des glorieux aînés.

Il était donc temps de se remettre en question pour ne pas foncer droit dans le mur, inventer quelque chose qui pourrait se faire remarquer dans cette période cruciale où du côté de la perfide Albion on ne jure plus que sur le trip-hop et autres genres où les machines ont supplanté les instruments (techno, house, trance…). Tandis qu’aux States, la déferlante grunge venue de Seattle va s’abattre sur tout le pays (et par effet domino, dans le monde entier) avec la sortie de Nevermind, le lendemain de Screamadelica. En clair, faut que ça plane, que ça bouge ou que ça arrache tout, la chansonnette propre sur elle, non merci.

La dépression est proche, le groupe va sombrer dans l’oubli, à moins que… À moins que les zicos de Primal Scream ne se mettent à la page et carburent aux mêmes produits que le public. Et le produit qui cartonne en ce moment c’est l’ecsta. Alors, plutôt que de continuer à le regarder d’un air dédaigneux (et recevoir en retour le même accueil pour leurs albums), le groupe, sous l’insistance d’Alan Mc Gee, big boss du label Creation, se dit qu’il va se laisser tenter par l’aventure et voir où ça va les mener.

Décollage immédiat. Les mecs planent à 15 000, se sentent pousser des ailes et laissent aller leur instinct créatif, désormais débridé. Premier effet, premier single : « Loaded » qui annonce la couleur « We want to be free to do what we want to do, we want to get loaded, and we want to have a good time. » Exit les complaintes, let’s have a good time. Et là, pas besoin de cachetons, la zik se charge de nous mettre à l’aise : rythmes chaloupés, ligne de basse du tonnerre, claviers et cuivres festifs, chœurs entraînants. La guitare mise au placard jusque-là vient relancer la machine à la moitié du morceau et le final funkysant remporte la mise. Le morceau est en fait un remix d’un titre du premier album « I’m Losing More Than I’ll Ever Have ». Il est signé Andrew Weatherall, journaliste et DJ (et surtout pote de défonce du groupe) qui va se charger d’une partie de la production de Screamadelica.

Pas moins de quatre autres producteurs officient aux machines et pas que des rigolos. Parmi eux, les pionniers de l’électro ambient The Orb qui connaissent plutôt bien leur taf et un certain Jimmy Miller qui a sur son CV la production de quelques-uns des plus grands albums des Stones (Aftermath, Beggars Banquet, Let It Bleed, Sticky Fingers, Exile on Main St. … ça vous va ou faut que j’en cite d’autres ?).

Tout n’est pas du niveau de « Loaded » fort logiquement mais « Come Together » est l’autre tube absolu de cet album. L’autre morceau ultime qui ne vieillira jamais et nous prouvera encore et toujours que la musique est plus forte que tout. Je n’ai pas de mot pour décrire cette bombe de 10 minutes à l’intro extraordinaire où se mêlent ce sample fédérateur qui fracasse tout (repris par Chinese Man comme je viens de l’évoquer), sirènes de police, claviers entêtants avant que les percus et la basse n’emportent tout ce beau monde vers des contrées psychés où flottent tous les gens perchés. Et pas qu’eux d’ailleurs. « Come Together as one » entend-on en boucle et on se sent heureux d’exister. Les hippies sont de retour !

Les deux morceaux que je viens d’évoquer longuement se suivent (pistes 6 et 7) et constituent incontestablement le sommet de l’album qui ne contient pas que des chefs-d’œuvre.

Parmi les autres réussites de l’album, signalons le très remuant « Movin’ On Up » qui pulse bigrement, et où la guitare est, chose rare sur cet album, au premier plan et non pas reléguée derrière les chœurs gospel omniprésents. Sur « Damaged », Gillespie est à l’honneur au chant, alors qu’on l’entend finalement très peu sur le reste de l’album. Une ballade pop classique, certes, mais assez touchante.

« Slip Inside This House », reprise du 13th Floor Elevator, est un excellent morceau également. Gillespie et sa bande nous convie à un trip sous acides en nous noyant sous un chant traînant, basse et bruitages techno, sitars ensorcelants. « Slip Inside This House » devient « Trip Inside This House » dans la bouche de Gillespie, décidément perché comme jamais. À ce sujet, une anecdote rapportée par le journaliste James Brown qui en dit long sur la nouvelle obsession des membres du groupe à cette époque. Discussion enflammée entre les quatre pour savoir s’ils prennent du vietnamien, chinois ou indien. Un collègue de Brown leur propose plutôt de se faire un Burger et se voit rétorquer « on parle d’héroïne mec, pas de bouffe. » Vous voyez le genre…

Mais revenons à nos moutons. On l’a dit il y a du moins bon sur ce disque. Car l’inconvénient de l’electro c’est que c’est une musique assez répétitive or quand le son est lourdingue à la base comme sur « Don’t Fight it, Feel It » et qu’il tourne en boucle pendant près de sept minutes, on a du mal à ne pas péter un plomb. Et quand on rajoute la voix de la diva house Denise Johnson dont je ne suis pas le plus grand admirateur, là on n’est pas loin de vouloir fracasser la platine.

Sans être des échecs notoires, les ballades que sont « Inner Flight », « I’m Coming Down » ou « Shine Like Stars » ne nous procurent pas les rêveries extatiques voulues. Tout semble se dérouler au ralenti comme dans un voyage intérieur mais au final on s’ennuie plus qu’autre chose.

Non, les ballades planantes ne sont pas vraiment le point fort de Primal Scream, se dit-on. Et pourtant les deux parties de « Higher Than The Sun » viennent nous contredire. Jah Wobble, bassiste de PIL, assure les lignes de basse et ce coup-ci l’alchimie prend. La deuxième partie, sorte de dub lunaire qui s’étire longuement sur plus de 7 minutes, s’empare de nous et nous hypnotise pour nous emmener plus haut que le soleil.

Dans un registre différent des machines à dancefloor que sont « Come Together » et « Loaded », ces titres ouvrent une autre brèche, beaucoup vont s’y engouffrer, creuser ce nouveau sillon. On sent clairement l’influence sur des groupes comme The Chemical Brothers qui concocteront à leur tour des gros trips psychédéliques comme celui-ci.

On entend souvent la formule à tort et à travers mais ici elle n’est pas usurpée : il y a un avant et un après Screamadelica. Pour Primal Scream bien sûr qui signe là un album marquant et les fait entrer dans la légende (ils parviendront à un autre exploit de ce type avec le tonitruant XTRMNTR dans un autre registre). Et pour le monde de la musique électronique aussi évidemment. Le big beat prendra le relais ensuite et fera danser des milliers de personnes lors de nuits sans fin.

 

JL

 

Écoutez “Come Together”

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