Orgasmic & Fuzati – Grand Siècle (Les Disques Du Manoir)

Publié par le 31 mai 2014 dans Chroniques, Toutes les chroniques

fuzatiVoilà certainement la chronique la plus inutile du monde, puisqu’en l’écrivant je deviens moi aussi le “le genre de type qui ouvre sa porte alors que personne n’a sonné“. Fuzati le dit très bien, “si [mon] avis était précieux, [je] n’ferais pas que le donner“. JL est-il d’accord pour me rémunérer afin de repasser mon égo froissé? Bizarrement, je n’ai pas trop d’espoir. Ceci dit, je n’en ai pas vraiment besoin pour vous parler de ce disque. En même temps, si ça peut aider certaines personnes à découvrir le Klub des Loosers, ou Orgasmic & Fuzati, je peux me bercer d’illusions un peu plus longtemps quant à ma propre utilité.

C’est étrange. Au départ, le Klub des Loosers, c’était Orgasmic & Fuzati. Aujourd’hui qu’ils ressortent un album ensemble, plus de 10 ans plus tard, Orgasmic & Fuzati ce n’est plus le Klub des Loosers. 10 ans après, ils ont vieilli, ils ont progressé, ils ont mûri (oh, le vilain mot), mais on ne peut pas vraiment dire qu’ils ont changé. Les textes sont toujours acides et désabusés, appuyés par la simplicité apparente de la musique dont le côté synthétique n’aide pas vraiment à rendre l’ambiance chaleureuse. On est loin des boucles Fruity Loops et des textes sur une petite amie sans jambes que l’on garde quand même car elle est la seule à accepter qu’on lui recouvre le corps de confiture, et pourtant, on n’est pas non plus bien loin de l’ambiance haineuse et névrosée qui se dégageait alors des compositions du duo versaillais. Un peu comme un pote qu’on retrouve 10 ans plus tard, avec qui on n’a plus les mêmes sujets de conversation, mais avec qui on finira quand même la soirée torché dans le caniveau.

Si on doit rentrer dans des considérations techniques on ressent tout de suite la patte du DJ Orgasmic sur disque, notamment par l’absence de scratchs et une musique ouvertement électronique. Malgré mon aversion générale pour ce type de sonorités, j’avoue en toute subjectivité que la différence de ton d’un morceau à l’autre aide à faire passer la pilule. À titre d’exemple, “Le Fluide” est une ballade mélancolique là où “Corbillards” a des teintes latinos. Pour ce qui est de Fuzati, on remarque que son flow est moins offbeat qu’à l’accoutumée, et même beaucoup plus en phase avec la construction musicale des morceaux. Au temps pour tous ceux qui lui reprochaient, un peu à l’excès, son phrasé atypique. Et pour tous ceux qui pensaient qu’Orgasmic ou Detect derrière les platines (expression désuète. Dit-on “derrière le pc”, de nos jours?), ça ne changerait pas grand chose.

Concernant les textes, on a étonnamment une multiplication de références à la culture populaire des années 80-90, notamment le morceaux d’ouverture construit autour des Goonies, mais on entend aussi parler des Hanson, de Tori Spelling ou de Vincent Perrot. On en viendrait même à se demander si Fuzati ne deviendrait pas nostalgique avec le temps, mais ce serait passer à côté du propos. Et ce n’est pas non plus le portrait au vitriol de notre société qui doit laisser penser que le MC se lance dans la critique sociale alors qu’il se contente de nous faire part de sa vision du monde; noire, forcément, mais pas dénuée de pertinence, ni d’humour. En atteste ce morceau presque instrumental “Chaîne en Or” où Orgasmic & Fuzati se foutent plus ou moins ouvertement de la gueule des rappeurs estampillés hardcore. “T’as acheté une chaîne en or ? J’ai acheté une maison, pendant que tu galères dehors j’me fais sucer dans mon salon“, scande-t-il avec une voix artificiellement grave.  Moins subtil mais tout aussi critique que ses autres allusions à l’état de l’industrie musicale en générale et de la soi-disant guerre du rap game.

Dans l’univers DC, vous savez l’univers de Superman, Batman et tout ça, il y a un méchant du nom de Darkseid qui recherche l’équation d’anti-vie. Cette équation serait une explication mathématique que la vie est inutile et qu’il n’y a aucun espoir, ce qui conduit à l’annihilation de tout libre arbitre chez les êtres vivants. Si Darkseid existait dans notre monde, il devrait vraiment chercher l’équation d’anti-vie dans les textes de Fuzati. “Laissez toute espérance, vous qui entrez ici“, selon Dante c’est ce qui est gravé sur la porte de l’enfer. De fait, c’est un peu l’enfer qui nous est décrit, un enfer quotidien fait de solitude, de trop peu de coups d’un soir et de bien trop de packs de bières.

Voilà, c’est certainement inutile d’écrire autant sur ce disque. Hormis pour le plaisir de citer un poète classique italien en même temps qu’un personnage de comics, ça ne servait effectivement pas à grand chose. Vous pouvez tout à fait écouter Grand Siècle et ne pas l’apprécier; quelque part on s’en fout. Si vous prêtez l’oreille et que ce que vous entendez vous parle, alors ce disque est fait pour vous. Dès lors, vous faites ou ferez partie de ces personnes qui aident Fuzati, à chaque fois que celui-ci sort un disque, à se rendre compte qu’il y a des gens qui l’aiment. Ça doit lui faire une belle jambe…

 

BCG

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