Sonic Youth – NYC Ghosts & Flowers

Publié par le 17 mai 2020 dans Chroniques, Incontournables, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Geffen, 16 mai 2000)

Quand on considère rétrospectivement la carrière au long cours d’un groupe, on pourrait être facilement tenté de ranger certains de ses disques dans la catégorie plus ou moins foireuse des « disques ratés » et/ou des « œuvres de transition ». Alors à l’heure de fêter les 20 ans de NYC Ghosts & Flowers, tentative de réhabilitation de cet album décrié de Sonic Youth.

Et d’emblée, il me semble au contraire qu’il faille le considérer comme un album charnière de la carrière des new-yorkais, à la croisée des chemins après des 90’s qui ont chamboulé le paysage musical US à tout jamais. Pour deux raisons ; l’une plutôt banale dans la vie d’un groupe : une collaboration. C’est en effet sur ce disque qu’apparait pour la première fois Jim O’Rourke, musicien et producteur, qui va accompagner le groupe et même devenir un 5e membre à part entière et influent sur les deux disques suivants (les excellents Murray Street et Sonic Nurse). Le côté arty et expérimental de cet album n’est sans doute pas étranger à sa venue. La deuxième raison est beaucoup plus étonnante et va avoir un impact majeur sur la genèse de ce disque. En Juillet 1999, les new-yorkais en tournée se font voler une partie de leur équipement (guitares, pédales d’effets…). Alors vous me direz, big deal. Pour beaucoup de groupes lambda, on repasse chez le marchand et ni vu ni connu ou presque. Sauf que le groupe s’appelle Sonic Youth et en 2000, compte près de 20 ans de carrière derrière lui et surtout des wagons de guitares (parfois cheap) accumulées au fil des rencontres, des dons et autres achats. Et que chaque instrument est parfois accordé et utilisé spécifiquement pour certains titres bien précis. Ce qui a participé d’ailleurs au grain caractéristique du son Sonic Youth autant que leur attrait pour les accordages alternatifs. Délesté donc d’une partie de leur matériel, le groupe doit investir dans du nouveau matériel et leur « routine » de composition va en être affectée. Ce que le groupe après coup va considérer comme une vraie opportunité. D’où le caractère particulier de certains des 8 titres de l’album, et cet aspect parfois dissonant. Comme si le groupe en utilisant de nouvelles guitares s’était retrouvé dans sa position de début de carrière, où il expérimentait les possibilités soniques de ses instruments plus que les tentations pop qu’ils ont ensuite développé au sein de leur noisy-rock. Le groupe a aussi son propre label Sonic Youth Records (SYR) depuis la fin des années 90 et développe en marge de ces albums « officiels » son penchant expérimental dans des jams noisy joués sans contraintes. Si bien qu’on en trouve des bribes aussi sur leurs disques depuis A Thousand Leaves. Comme en atteste ici un titre comme « StreamXSonik Subway », le genre de titre dissonant qu’on n’avait plus trop entendu chez Sonic Youth depuis Bad Moon Rising au moins. Il y a (presque) un drone avec le final « Lightnin’ », sa trompette ivre et les incantations inquiètes de Kim Gordon. Assez déroutant pour ceux qui s’étaient arrêter à Dirty ou Goo. On trouve également une tendance au spoken word sur cet album ce qui le distingue fortement du reste de leur discographie. Comme sur le minimaliste « Side2Side ». Avec déjà 3 titres sur 8 qui vont rebuter les allergiques à la dissonance, pas facile alors de convaincre les sceptiques. Mais c’est sans compter le talent du groupe qui a aussi placé quelques pépites dans ce disque. À commencer par « Free City Rhymes », qui après une intro brumeuse, se développe mélodiquement au gré des déclamations de Thurston Moore, pour finir ensuite dans une belle outro noisy. Un titre qu’on jurerait échappé des sessions de A Thousand Leaves. On trouve ensuite « Renegade Princess », son intro dissonante, son crescendo frondeur avec un Thurston bien énervé et une outro crépusculaire. Sur « Nevermind (What Was It Anyway) », on découvre ce qui deviendra la patte Sonic Youth, du moins sur la dernière partie de leur carrière. Un titre à tiroirs, à la structure plus complexe, qui sans délaisser les guitares noisy en arrière-plan et les cliquetis dissonants, offre un son plus « lisse ». Comme cette guitare lead mélodique de « Small Flowers Crack Concrete » qui illumine discrètement ce crescendo en spoken word de Thurston Moore, parfois pas loin de la musique concrète. Kim s’invite aussi à la fête et ça s’emballe dans un océan de noise. Plutôt discret au chant sur cet album, Lee Ranaldo apporte sa contribution et avec quel brio sur l’inquiétant « NYC Ghosts & Flowers », titre brumeux sur un superbe texte. Et vortex noisy final qui semble renouer avec les tourbillons de la machine à laver. Seul bémol, le titre aurait été encore meilleur en clôture du disque plutôt que l’étrange « Lightnin’ ».

Alors forcément, on a entendu mieux chez Sonic Youth avant et même après ce NYC Ghosts & Flowers, avec notamment 4 derniers albums de (très) bonne tenue avant le split. Pitchfork les a « gratifié » d’un corrosif 0.0 pour cet album dans un classique cas de bashing qui consiste à humilier encore plus éhontément ceux qui ont (souvent) côtoyé les étoiles. Avec le recul, Sonic Youth était sans doute dans un creux de son histoire, mais a osé, et profité d’un évènement fortuit, pour secouer son confort et repartir sur une nouvelle dynamique. Si vous ne connaissez pas (#shame) ou peu le groupe, ne prenez pas ce versant abrupt de leur discographie pour commencer à vous adonner aux joies de la jeunesse sonique. Disque arty et difficile d’accès, qui aurait bien mieux figuré juste après Bad Moon Rising dans leur discographie, l’album est aussi sorti presque trop tôt. Sa résonance eut été tout autre par exemple dans le New-York dévasté post 9/11. Merci quand même la jeunesse sonique !

Sonicdragao

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1 commentaire

  1. Excellent, merci

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