Linton Kwesi Johnson – Forces Of Victory (Island)

Publié par le 13 février 2013 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

lkjCe grand monsieur est un drôle de personnage. Loin des clichés du portrait-type du chanteur reggae, Linton Kwesi Johnson dit LKJ n’est pas jamaïcain, ne porte pas de dreadlocks et ne vénère pas Rastafari.

Né en Jamaïque, il rejoint l’Angleterre à 11 ans et devient très vite un homme d’engagement rejoignant notamment le mouvement anglais des Black Panthers.
Avant d’être chanteur, Linton est poète. Il fait parler sa plume dans ses premiers groupes où il s’exerce au “dub poetry”. Stature imposante, chapeau et lunettes, le bonhomme a du charisme. Il déclame des textes engagés en patois jamaïcain.

Repéré pour ses talents d’écriture et sa vision éclairée, il signe chez le label Island qui publie son premier disque, Dread Beat An’ Blood, en 1978, sous le nom d’artiste Poet and the Roots.
L’année suivante, Thatcher débarque au pouvoir. Sale temps pour les rebelles. Les droits sociaux sont charcutés, la “Dame de Fer” est sans pitié et montrera une grande fermeté face aux grévistes. De sombres années à venir pour la classe ouvrière anglaise.

Heureusement le grand monsieur au chapeau aidera à faire passer la pilule, à oublier le temps d’un disque la dure réalité du quotidien. S’appuyant sur la force rythmique d’un reggae/dub de haute volée, LKJ récite, slamme plus qu’il ne chante. Son timbre inimitable, chaud et grave, se veut rassurant. Imposant aussi, très maitre d’école devant qui on n’ose pas la ramener.

Et le vieux sage déroule, raconte ses rencontres avec ceux qui galèrent (“Want Fi Go Rave”). Musicalement, le dub band assure un max : cuivres, percus, basse rondes, skank percutant, l’unité est parfaite. Le rythme chaloupé nous trimballe, les reverbs nous font planer.

Sur “Sonny’s Lettah (Anti-Sus Poem)”, Linton relate une bavure policière. Sonny écrit à sa mère depuis la prison de Brixton où il croupit depuis qu’il a pris la défense de son frère, tabassé à mort par des flics ripoux, et buté l’un d’eux. Parfois, la musique s’arrête pour laisser place à la confidence, comme si Sonny osait à peine raconter la suite (“Mama, mek I tell you wa dem do to Jim ? Mek I tell you wa dem do to ‘im ?“). Puis, la musique repart, le tempo s’accélère et Sonny lâche tout, débite son récit, très vite, expurge ce qu’il a sur le cœur. Musicalement ça tue et la cohésion avec la force des mots de LKJ force le respect. Fort, très fort.

LKJ s’en prend aux racistes à qui il faut “écraser le cerveau car ils n’ont rien dedans” (“Fite Dem Back”) et se démarque clairement des rastas leur conseillant d’agir plutôt que de se retrancher dans la religion avec des croyances d’un autre temps (“Reality Poem”) “This is the age of reality. But some of us deal with mythology. (…) Some get a vision. Start preaching religion. But they can’t make a decision. When it comes to our fight. They can’t make a decision. When it comes to our rights.” Derrière il laisse son band dérouler pendant plus de 2 minutes 30 un dub de grande classe.

Linton n’hésite donc pas à afficher des prises de position radicales qui vont de pair avec son militantisme de tous les instants, lui le révolutionnaire dans l’âme qui connaît le poids des mots puisqu’il exerce aussi le métier de journaliste.

Plus tard, il écrira un texte fameux au titre pour le moins provocateur : “Inglan is a Bitch” (littéralement “l’Angleterre est une salope”). On l’a compris Sir Johnson n’a jamais pris de gants et s’est toujours exprimé avec la plus grande franchise, quitte à troubler l’ordre moral et la pensée unique. Un gars bien, quoi.

Il était donc impossible de dissocier cet album de ses textes et des messages qu’il tend à faire passer. Mais ne vous méprenez pas ; si vous ne comprenez rien à l’anglais ou n’en avez rien à battre des lyrics, vous avez de grandes chances d’apprécier tout de même ce Forces Of Victory qui est avant tout un grand disque de reggae. D’ailleurs la trilogie LKJ in dub où l’on n’entend pas le monsieur à la grosse voix est également chaudement recommandée.

JL

 

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