IAM – L’école du micro d’argent

Publié par le 26 mars 2017 dans Chroniques, Incontournables, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Parlophone, 1997)

Dans quelques années quand on parlera de rap français à nos gosses, ils auront peut-être du mal à croire qu’auparavant les rappeurs déblatéraient dans le micro avec leur vraie voix sans avoir recours à des artifices dégueulasses, que ce qui les animait était de dépeindre la vie telle qu’ils la percevaient et telle qu’elle était vécue par des milliers de banlieusards n’ayant pas accès à la même exposition qu’eux. D’être la voix des sans voix comme le veut l’expression consacrée.

Ils nous regarderont peut-être les yeux écarquillés quand on leur dira que ces mêmes rappeurs étaient médiatisés uniquement pour la qualité de leurs textes et non pas pour leurs frasques ou marques de sapes. On ne sera alors pas peu fier de leur dire que nous étions là il y a 20 ans pour vivre l’arrivée d’un monument du rap francophone. On leur foutra “Demain, C’est Loin” dans les oreilles et ils comprendront que tout est vrai.

En 1997, IAM, étendard du rap marseillais sort donc ce qui reste à ce jour son chef-d’œuvre inégalé. Jusque-là il était respecté pour son statut de pionnier, justifié par deux premiers albums de qualité et un tube pour faire les cons en soirée (“Le mia”). Les promesses sont là mais on ne s’attend quand même pas à un tel coup de maître.

Avec L’école du micro d’argent, IAM déploie l’artillerie lourde. Tout pour plaire. Des instrus travaillées comme jamais, Imhotep et Kheops partent en quête du sample qui tue sillonnant les films, disques soul, funk et nous pondent des instrus comme on n’en avait jamais entendues de ce côté-là de l’Atlantique. C’est d’ailleurs en partant enregistrer une partie du disque à New York, mecque du rap underground, que les marseillais vont chercher l’inspiration. Dès le morceau titre en ouverture et son instru terriblement entrainante, on s’en prend plein la face. Parés pour la bataille.

Les amateurs du Wu-Tang Clan ou de Mobb Deep auront droit à leur petite hallucination se disant qu’on n’est pas si mal en France.

Au niveau des textes on n’est pas si mal non plus. Les MCs déploient un style tout terrain avec une plume aussi à l’aise dans l’égotrip pur et simple (“Un bon son brut pour les truands”) que dans le fait divers glaçant dépeint avec un réalisme froid (“Un cri court dans la nuit”).

Le grand public découvre que le rap n’est pas qu’un truc de banlieusards pour les banlieusards. Une science de la rime, des textes d’une intelligence rare à même de parler à chacun de nous. Pas aussi intello qu’un MC Solaar, pas aussi radical que NTM ou Assassin, les Marseillais ont leur créneau et livrent là « une musique pas faite pour 5 personnes mais pour des millions ».

Entre des thèmes plus légers (le groovy « Bouger la tête », ou la sale expérience « Elle donne son corps avant non nom » relatée avec humour), IAM n’oublie pas de mouiller le maillot en abordant les sujets plus sensibles et polémiques.

IAM parle ainsi censure sur « Dangereux » (où Akhenaton fait référence à son morceau « Éclater un type des assedic » sur son album solo Métèque et mat, qui lui valut d’être attaqué en justice sur ordre d’un certain Alain Juppé). « Je voudrais faire le bien et rien d’autre, mais pour eux je suis un mouton galeux… un mec dangereux » déplore AKH, défendant ici la cause de rappeurs français souvent ciblés par une justice ne les considérant que comme une bande de gangsters armés d’un micro.

Et IAM raconte sa banlieue sur « Nés Sous La Même Étoile » et « Petit frère », petits bijoux de justesse, qui font toujours figures de morceaux cultes. Sur une instru mélancolique, « Nés sous la même étoile » livre un parallèle saisissant entre la vie d’un gamin « né les poches vides » qui grandit dans le ghetto et « doit se débrouiller pour manger certains soirs » quand un autre, né sous la bonne étoile « se gave de saumon sur lit de caviar ».

« Petit Frère », morceau emblématique de toute une génération, évoque la violence dans les cités, auto-alimentée par la nécessité de faire ses preuves, donc des conneries, l’influence néfaste des médias… A la lueur de certains couplets, le constat est évident : rien n’a changé 20 ans après. (« En parler au journal tous les soirs ça devient banal. Ça s’imprime dans la rétine comme situation normale. Et si petit frère veut faire parler de lui il réitère ce qu’il a vu avant 8 heures et demie. Merde, en 80 c’était des états de faits, mais là ces journalistes ont fait des états. Et je ne crois pas que petit frère soit pire qu’avant, juste surexposé à la pub, aux actes violents »).

Ceux qui ne connaissaient IAM que par « Le mia » et les considéraient d’un œil bienveillant comme une bande de petits rigolos tombent de haut. Les gaillards méditerranéens sont à prendre au sérieux.

Malgré tout, on l’a dit IAM, n’est pas uniquement là pour porter la plume dans la plaie, il n’oublie pas les thèmes qui lui sont chers comme sa fascination pour l’univers féodal et les arts martiaux (la flamboyante « L’école du micro d’argent » en ouverture) ou… la saga Star Wars (« L’empire du coté obscur ») en dépit de l’interdiction de John Williams de les laisser sampler la marche impériale de Dark Vador. Le groupe fait également honneur à la poésie dans un texte métaphore bien senti où les MCs campent un proxénète linguistique, devant qui « consonnes, voyelles, sont toutes à quatre pattes » (« Chez le mac »). Techniquement c’est du costaud.

L’alternance au micro entre Akhenaton et Shurik’n (et parfois Freeman) fonctionne à merveille, le deux voix sont très complémentaires, les textes sont martelés, le tout avec une grande musicalité. Comme si cela ne suffisait pas, IAM s’entoure de Sunz Of Man, affilié du Wu-Tang – rien que ça – sur « La Saga » (oh dis donc, ne serait-ce pas un autre titre culte ?) et invite Fabe l’impertinent à poser son flow si particulier et interpeller « Rac-Chi », notre cher président d’alors (“L’enfer”). Le regretté East y signe également un couplet remarqué et certaines rimes sont d’ailleurs restées gravées (“Une partie de la jeunesse n’a presque rien ou si peu. Quand tu retournes tes poches la poussière te pique les yeux“)…

Pour parachever le monument, quoi de mieux que « Demain C’est Loin », morceau ultime au panthéon du rap français. 9 minutes de flow posé abruptement sur une boucle entêtante. Pas de refrain. Des mots qui ricochent les uns sur les autres et s’insinuent avec force dans les esprits. Des mots durs, poisseux. Vrais. Nulle trace d’égotrip ici, ça sent le béton, la grisaille, la vie sans filtre ni complaisance. « Demain C’est Loin » c’est ce film d’auteur sans acteur fameux, sombre et juste, plus réaliste que bien des reportages. Une caméra dont personne ne soupçonne l’existence, posée au milieu d’une cité. « Demain, C’est Loin », c’est la définition de ce que devrait être le rap français.

Cet incroyable album fut réédité il y a peu dans une luxueuse édition triple vinyle. Hormis l’inconvénient de devoir changer six fois de face (lourdingue…), on ne peut que savourer le soin tout particulier apporté à la qualité du son qui rend justice à la production impeccable de ce disque. Un disque à posséder, évidemment. Pour la collec’, pour l’histoire. Et pour éduquer vos gosses, accessoirement.

JL

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *