Interview – The Guru Guru

Publié par le 25 février 2020 dans Interviews, Toutes les interviews

Après avoir vu leurs potes de label It It Anita prendre une autre dimension en 2018 et leurs amis de longue date Brutus (avec qui ils ont enregistré un split EP il y a quatre ans) prendre leur envol l’an passé, The Guru Guru se disent que 2020 est peut-être leur année. Et on serait tentés également de mettre une pièce sur eux (d’ailleurs on l’a un peu fait puisqu’on les fait jouer ce samedi avec Zarboth et Coude à l’Espace B !). Si le quintette belge a dû faire face au départ de son bassiste, il a conservé son amour du grand écart et son talent pour construire des morceaux aussi alambiqués que diablement accrocheurs. Tout porte ainsi à croire que Point Fingers, successeur d’un Pchew déjà remarqué en 2017, devrait faire grand bruit. Le contraire serait fort injuste (mais on n’est pas à une désillusion près dans ce domaine…). En tout cas, Tom Adriaenssens, chanteur impressionnant d’intensité capable d’endosser plusieurs personnalités au sein d’un même morceau, n’a pas ménagé ses efforts. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir à l’autre bout du fil que ce leader si excentrique et charismatique sur scène est en fait un garçon extrêmement posé et réservé.

“Si on emploie le terme de rock borderline, c’est aussi parce que l’un de nos membres a souffert de troubles de la personnalité limite. Il passait d’une émotion à l’autre en quelques secondes, et c’est ce que nous voulons retranscrire en musique.”

Le communiqué de presse qui accompagne votre nouvel album évoque des influences de METZ, Deerhoof, Pere Ubu, Jesus Lizard, The Mars Volta… et Andy Kaufman ! Grand n’importe quoi ou assez bon résumé ?
Il y a certainement quelque-unes de nos influences là-dedans. On a tous des influences différentes. Personnellement, je n’écoute pas beaucoup Deerhoof ou METZ mais c’est le cas de notre guitariste (Jan Viggria, ndr). J’écoute toutes sortes de musique et je suis un très grand fan d’Andy Kaufman. On a chacun nos trucs qu’on adore et on rassemble le tout dans notre propre groupe.

Je te dis ça parce qu’en écoutant votre nouvel album et le précédent, je me suis dit que ça ne devait pas être évident pour votre attaché de presse de faire la promotion du disque en évoquant des ressemblances avec d’autres groupes… Ce n’est vraiment pas simple de vous catégoriser.
C’est vrai, on a tout un tas d’inspirations différentes, on essaie de construire quelque chose de nouveau, c’est donc peu évident de trouver des comparaisons avec d’autres groupes.

Vous vous considérez comme un groupe de « rock borderline », c’est peut-être ça la définition qui vous sied le mieux car votre musique est assez instable et un peu « folle » par moments. Comment parvenez-vous à faire évoluer vos morceaux dans plein de directions différentes et souvent inattendues lorsque vous composez ?
Si on emploie le terme de rock borderline, c’est aussi parce que l’un de nos membres a souffert de troubles de la personnalité limite (aussi appelés “TPB”, TPL” ou “états-limites”, ndr). Il passait d’une émotion à l’autre en quelques secondes, et c’est ce que nous voulons retranscrire en musique. C’était notre objectif de départ. Cette musique un peu « folle », résultent donc avant tout de la volonté de musicaliser ce que pouvait ressentir notre guitariste Jan.

Il vous est arrivé de ne pas conserver certains morceaux ou de les remodeler totalement car ils étaient trop simples et manquaient de ce grain de folie qui vous caractérise ?
Cette fois, avec notre nouvel album, Point Fingers, on écrit vraiment la meilleure musique possible pour nous. On ne se fixe pas de règles, ça n’a pas à être nécessairement barré, l’essentiel est d’être sincère.

Oui, c’est vraiment ce que j’ai ressenti. Il y a toujours une grande liberté, on ne sent pas de calculs de votre part, ça sonne très spontané. Mais je trouve aussi l’album plus pop, très mélodique, c’est quelque chose que vous avez cherché à accomplir ?
On n’y a pas vraiment réfléchi quand on a commencé à écrire l’album. La nouvelle règle principale que je me suis fixé, c’est d’écrire uniquement sur ce qu’on connait, sur nos propres expériences. L’album est effectivement plus pop mais on ne l’a pas fait intentionnellement, c’est simplement ce qui s’est produit.

Tu chantes de manières très différentes, parfois au sein d’un même morceau. Tu as toujours fait preuve de cette “schizophrénie” vocale, tu chantes, rappes, parles, pousses des cris. Mais tu restes souvent très mélodique. Avais-tu la volonté de porter davantage les morceaux avec ta voix qu’auparavant ? T’es-tu senti plus confiant en tes capacités vocales ?
Oui, je crois que je me suis senti plus à l’aise avec mon chant. Comme mes paroles étaient plus sincères, j’ai ressenti une plus grande confiance. Très clairement. J’ai grandi en tant que chanteur mais aussi en tant que parolier.

Cela a donc aussi beaucoup à voir avec tes textes. J’ai essayé de m’y plonger un peu, de rentrer dans ta tête mais je ne suis pas certain de comprendre le sens de tes paroles, si tant est qu’il y en ait un. De quoi parle « Chramer » par exemple ? C’est un morceau très frénétique et j’ai le sentiment que les textes sont dans cet esprit aussi… Tu souhaitais évoquer le fait que tout va trop vite, la consommation de masse ou je suis totalement à côté de la plaque ?
C’est une chanson sur le fait que le monde est proche de la fin, que tout va s’écrouler. Au moment d’écrire les textes, je sortais d’une longue relation qui a abouti à un divorce, il en est donc beaucoup question dans ce disque. C’est aussi inspiré par Carmina Burana (la cantate scénique de Carl Orff, ndr). Je ne sais pas… D’abord on enregistre la guitare, puis la batterie, après cela je dois trouver des paroles qui vont avec. En écoutant la musique, je vois ce que je ressens à ce moment. Là, c’est ce qui est sorti. Beaucoup d’émotions différentes. Mais pour moi, cela a beaucoup de sens.

Comment fonctionnes-tu ? Ce sont des mots qui te viennent à l’esprit et autour desquels tu brodes ou tu réfléchis à toute une histoire avec une cohérence quand tu écris ?
Je peux fonctionner de ces deux façons. Parfois, ce ne sont que quelques mots qui me viennent et je dois trouver un sens à tout ça et d’autres fois je réfléchis à tout un concept. Cela dépend du morceau. Sur ce disque, il y a « And I’m Singing, Aren’t I ». Il y avait une autre chanson du même genre, minimaliste avec simplement de la guitare… (Il réfléchit)

Tu veux parler de « Singultus » ?
Oui, celle-ci. Ce sont des chansons différentes des autres. Sur celles-ci, ce sont les paroles qui viennent en premier.

Et ta voix est alors vraiment au premier plan. Je me suis dit que le titre « And I’m Singing, Aren’t I » était probablement dû au fait que tu t’étonnais toi-même de chanter de façon si douce… (Rires)
Oui, c’est ça, “c’est moi qui chante là ?“. C’est également parce que je ressentais beaucoup de pression. Je suis chanteur mais aussi professeur de musique donc la musique m’occupe constamment. Je tenais aussi à exprimer cela. En chantant, je fais ce que j’ai à faire, chaque jour, alors laissez-moi tranquille.

Votre bassiste Moreno Claes a quitté le groupe, il était assez populaire parmi vos fans, il faut dire que la basse a toujours été prépondérante dans votre musique. Comment s’est intégré Brent Mijnendonckx, le nouveau bassiste ?
Il a été très difficile pour nous de prendre cette décision, ensemble. Mais c’était devenu inévitable. Brent peut jouer de la même façon que Moreno, il est capable de reprendre toutes les ses parties, et de le faire bien. Il faut être un bon bassiste pour pouvoir bien jouer ses morceaux sans faire d’erreur. Brent est un bassiste incroyable, il nous reste à voir comment vont se dérouler les sessions de composition du prochain album mais je suis très confiant.

Ce n’est donc pas lui qui a enregistré les morceaux du nouvel album ? Il est arrivé après ?
Oui.

“Sur scène, on fait tous attention à ne pas faire trop d’erreurs, à ne pas trop se planter dans les moments cruciaux. (Rires) Tu n’aurais peut-être pas pensé à ça parce qu’on veille toujours également à avoir beaucoup d’énergie sur scène. Mais on doit aussi jouer les morceaux comme il faut !”

David Bottrill a mixé l’album. Que cherchiez-vous à obtenir en travaillant avec lui ? Il a fait beaucoup d’albums de metal, ainsi que des groupes qui ont un son énorme comme Tool ou King Crimson…
On aime tous les albums qu’il a produits. Personnellement, j’ai adoré son travail sur l’album de Muse, Origin Of Symmetry et beaucoup d’autres. On voulait simplement voir ce qu’il pourrait faire avec nos chansons. On lui a vraiment donné la liberté de faire son truc, je crois qu’on n’attendait rien de particulier de sa part en fait. Quand il nous a envoyé les mixes, on était vraiment très excités. On n’a pas eu besoin de faire beaucoup d’ajustements.

D’autant que ça ne doit pas être facile de dire à un mec comme lui « désolé, c’est pas terrible ».
(Rires) C’est vrai mais sa réputation est justifiée. Il fait vraiment bien son boulot.

C’est toi le petit garçon joyeux au ski sur la pochette ?
Oui. On est tombé sur cette photo qu’on trouvait drôle. Comme pour le premier album, où on avait ressorti une vieille photo de Moreno.

En raison de souvenirs particuliers ou juste parce que ça vous faisait rire ?
Non, on a réuni plusieurs photos avec les autres membres du groupe. J’ai beaucoup d’albums photos et on voulait une photo de moi parce qu’il est beaucoup question des difficultés que je viens de traverser dans les textes de l’album. On a simplement pensé que celle-là était la meilleure pour ce disque. Il y avait d’autres candidates (rires), il y en a de vraiment sympas !

Pour le prochain alors.
Oui, pour le prochain. Enfin, je pense qu’il faudra peut-être le groupe entier cette fois.

Vous avez une excellente réputation scénique. Que vous faut-il pour considérer qu’un live est réussi ? Quels sont les ingrédients nécessaires pour qu’il se passe quelque chose ?
Je crois qu’on fait tous attention à ne pas faire trop d’erreurs, à ne pas trop se planter dans les moments cruciaux. (Rires) Tu n’aurais peut-être pas pensé à ça parce qu’on veille toujours également à avoir beaucoup d’énergie sur scène. Mais on doit aussi jouer les morceaux comme il faut !

Oui je pensais que tu évoquerais plutôt l’intensité que la crainte de faire des erreurs… ce qui peut parfois inhiber !
Non, le plus important est bien sûr d’instaurer une ambiance, une énergie live. Mais après nos concerts, on parle toujours de nos pains sur telle ou telle chanson, de ce qu’on a foiré. Bon, sans trop se prendre la tête non plus avec ça, hein.

“Les succès de Brutus et It It Anita sont une très bonne chose pour la scène belge et les groupes locaux. Ils travaillent dur, ils font leur truc et c’est super de constater que le travail paye. Ils ont pu jouer dans des salles très cool, ils ont énormément tourné. On adorerait en faire de même.”

Vous avez sorti en 2015 un split EP avec Brutus et ce sont de bons amis à vous. Comment ont-ils vécu cette forte hausse de popularité récente et qu’en pensez-vous ? Ils viennent de vivre une année incroyable !
Ouiii, on ne les as pas beaucoup vus à vrai dire parce qu’ils n’ont pas arrêté de tourner. Mais c’est super pour eux, la façon dont ils ont explosé. Ça nous fait vraiment plaisir. On adorerait connaitre une évolution similaire à la leur.

Ils ont énormément tourné en effet, tout comme It It Anita qui prend de plus en plus d’ampleur. Ils sont d’ailleurs sur le même label que vous en Belgique, Luik Records. Ça doit être inspirant pour vous de voir ces groupes dont vous êtes proches grandir aussi vite.
Oui, et c’est une très bonne chose pour la scène belge et les groupes locaux. Ils travaillent dur, ils font leur truc et c’est super de constater que le travail paye. Ils ont pu jouer dans des salles très cool, ils ont énormément tourné. On adorerait en faire de même. C’est cool de voir tout le monde grandir de la sorte, comme nous sommes en train de grandir également et de constituer peu à peu quelque chose dont on pourrait être fiers tous ensemble.

En France, vous êtes sur le label de Lysistrata, Grabuge Records. Vous les avez rencontrés en tournée ? Vous les connaissez bien ?
Ils ont fait beaucoup de concerts en Belgique, avec It It Anita notamment. Ils collaborent beaucoup ensemble. En fait, Luik Records travaille étroitement avec Grabuge, autour de plusieurs groupes. C’est comme ça que ça s’est fait. Enfin, il me semble. Pour être honnête, je ne suis pas le manager du groupe, je ne suis pas au courant de tout ce qui concerne le label, les agents. J’essaie de me tenir au courant le plus possible mais je ne suis pas aussi impliqué là-dedans que notre guitariste (Emiel Van Den Abbeele, ndr).

“You’re just the singer, aren’t you ?”
(Rires) Oui, je ne suis que chanteur ! J’aime savoir comment ça se passe avec les labels mais je ne m’occupe pas du tout du management.

Votre premier album s’appelait Pchew, ce qui est censé être le bruit d’un sabre laser. Vous êtes des gros fans de Star Wars ?
En fait, on cherchait parmi pas mal de noms d’albums. En studio, on avait un espace à vivre avec une cuisine, des chambres… On y est restés environ trois semaines et on a beaucoup joué à Tekken sur Playstation (un jeu de combat, ndr). Et il y a ce personnage, Devil Jin, qui lancent des rayons lasers avec ses yeux… Moreno était imbattable et un jour Siemon (Theys, le batteur, ndr) a pris Devil Jin et l’a battu. Ça faisait ce son « Pchew, Pchew », on s’était dit que c’était un nom qui irait bien à l’album.

Ah oui donc c’est plutôt Tekken que Star Wars. Vous avez quand même vu la dernière trilogie ?
(Hésitant) Oui, bien sûûûr…

(Rires) Et tu l’as détestée c’est ça ?
(Rires) Non, pour être honnête, je ne les ai pas tous vus.

Tu ne veux pas être attaqué par les avocats de Disney…
(Rires) Non, sérieusement, j’en ai vus mais pas le dernier.

Pour conclure et revenir à la musique, quels ont été les disques que vous avez le plus aimés l’année dernière ?
De Staat a sorti l’album Bubblegum qui est pour moi l’album de l’année. Laisse-moi faire défiler mes disques sur Spotify… It It Anita ! (L’album Laurent est en réalité sorti en 2018 et a été réédité l’an passé avec trois morceaux inédits et des live, ndr) Car Seat Headrest (Twin Fantasy est également sorti en 2018, ndr), l’album de Brutus (Nest, ndr). Ce n’est pas du rock mais j’aime aussi Angèle, elle a sorti un album très cool avec de bonnes paroles.

Parce que tu as une fille ? (Rires)
(Rires) Non mais je suis prof de musique au lycée donc je dois travailler avec beaucoup de musique grand public, donc beaucoup de trucs nuls. Mais elle, j’aime ce qu’elle fait, elle a des trucs à dire. (Il réfléchit) Voilà.

OK, c’est déjà pas mal. Mais ça ne t’est pas venu facilement, j’en déduis donc que tu n’as pas écouté tant de sorties récentes l’an passé.
Non, je n’écoute pas tant de nouveautés. J’essaie mais j’ai mes trucs aussi à gérer, et peut-être que j’y consacre trop de temps…

Interview réalisée par Jonathan Lopez. A retrouver également dans new Noise #52 actuellement en kiosque.

Merci à Julien Fernandez

The Guru Guru avec Zarboth et Coude c’est samedi soir à l’Espace B (Paris 19e), c’est la troisième soirée Exit Musik, on a hâte d’y être (et de vous y croiser !)

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