Interview – Mogwai

Publié par le 29 août 2017 dans Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

Jour de fête de la musique, le soleil tape fort sur la capitale. Ce n’est donc pas tout à fait un jour comme les autres au sein d’un été parisien globalement bien pourri. Et ce n’est décidément pas un jour comme les autres puisque l’occasion nous est donnée d’interviewer les légendes post rock Mogwai dans un hôtel parisien. A l’époque on était encore un peu juste pour mesurer la pleine réussite qu’est leur nouvel album, Every Country’s Sun, mais on avait pu se rendre compte que derrière leur musique complexe se cache deux joyeux lurons qui se prennent très peu au sérieux.

 

“Il est temps qu’on ait des chansons pop, on en a marre de vivre dans l’obscurité de la classe moyenne, on a besoin d’argent pour s’acheter des châteaux”

© Brian Sweeney

 

Vous venez de jouer votre nouvel album en entier à Primavera lors d’un concert surprise. C’était la première fois que vous jouiez un album entier que personne n’avait encore écouté ?

Martin Bulloch (batteur) : Non, ça nous est arrivé une fois avant.

Stuart Braithwaite (guitariste) : on l’avait fait au Japon pour Hardcore Will Never Die, But You Will mais c’était le jour de la sortie.

Martin : c’était le jour de la sortie donc les gens s’étaient réveillés tôt le matin exprès pour l’écouter avant d’aller nous voir jouer (rires). Cette fois personne ne l’avait entendu probablement.

 

Ça doit être une sensation particulière. Vous étiez un peu nerveux ? Comment le public a réagi ?

Stuart : oui, j’étais nerveux. Mais le public était super, les gens ont aimé, je pense que ça a aidé que la scène soit assez loin. Les gens sont donc venus de loin pour nous voir jouer, ils n’avaient sans doute pas envie de repartir ensuite ! C’était bien, une expérience marrante ! C’était bien aussi pour nous parce que généralement on ne joue pas toutes les chansons d’un album donc c’était intéressant de le faire. Ça nous a mis en bonne position avant d’entamer une tournée normale.

Martin : c’est bien aussi d’être face à des gens qui ont bon goût parce qu’il y a tellement de bonne musique à Primavera ! On n’y était pas allé depuis quelques années donc c’était – enfin je croise les doigts – une bonne surprise pour le public. Ils ont été prévenus trois heures avant. En tout cas j’ai aimé, et les gens ont applaudi (sourire).

 

Et maintenant vous savez que vous pouvez jouez tous les morceaux de l’album. Que vous en êtes capables ! Mais vous n’aviez pas de doutes à ce sujet j’imagine ?

Stuart : certaines chansons sont vraiment calmes, je ne pense pas que ce soit le genre de morceaux qu’on joue en temps normal mais c’était vraiment bien donc je suis sûr qu’on les jouera de nouveau pendant la tournée.

 

Je viens de recevoir un lien pour écouter votre nouvel album. Le premier truc qui m’a frappé c’est que Atomic et Rave Tapes étaient très orientés électro et celui-ci a beaucoup d’atmosphères différentes. Il semble divisé en deux parties : la première avec pas mal de synthés et à la fin de l’album c’est très bruyant avec de grosses guitares comme à la bonne époque ! Comment vous expliquez ces deux aspects très différents, vous souhaitiez vraiment le « séparer » en deux parties distinctes ?

(Ils réfléchissent, je repars dans mes explications alambiquées, puis Martin m’interrompt) : je vois tout à fait ce que tu veux dire. On n’est pas arrivé avec l’ordre des titres, notre ami qui gère le label aux Etats-Unis nous a envoyé un email avec l’ordre. On l’a écouté et on a pensé que c’était une bonne idée, il a sûrement beaucoup plus réfléchi à ça qu’on ne l’avait fait (rires). Ça fonctionnait. Ça s’équilibre joliment, avec un début assez fort sur les deux premiers morceaux puis de belles chansons calmes qui divisent l’album et enfin ça part dans d’énormes crescendo noisy pour finir. Ça marche très bien.

 

Le « retour » des grosses guitares coïncide étrangement avec le départ de John Cummings (guitariste…) du groupe. Peut-on y voir un lien ?

Martin : pas vraiment, parce que John écrivait des chansons très noisy. C’est plutôt dû au fait que Dominic (bassiste) écrivait plus de chansons et les a écrites à la guitare. Il y a probablement un rapport avec ça.

 

Sur ce disque, il y a du chant sur deux morceaux (“Party In The Dark” et “10 000 Foot Face”). Stuart c’est assez inhabituel de t’entendre chanter, même si ça s’est déjà produit. Tu aimes vraiment chanter ou c’est aussi parce que tu es le seul à accepter de le faire (sourire) ?

Stuart : ce n’est pas ce que je préfère quand on enregistre mais une fois que c’est fait j’aime bien ! Je ne prends pas particulièrement de plaisir quand j’enregistre les voix mais ces chansons dont tu parles ne fonctionneraient pas sans chant, c’était vraiment nécessaire. J’ai demandé à Barry s’il voulait le faire, il a dit non donc… (rires)

 

Tu ne veux pas chanter non plus, Martin ?

Martin : tu ne m’as jamais entendu chanter, il y a une bonne raison à cela (rires) !

 

Tu peux essayer maintenant si tu veux ! (rires)

(Il s’esclaffe) Martin : on dirait un chat qui couine.

 

Un de ces morceaux, « Party In The Dark », est assez différent de ce que vous avez toujours écrit. Ça y est, vous êtes prêts à faire des tubes et à passer sur des radios connues ?!

Stuart : j’espère bien ! Il est temps qu’on ait des chansons pop, on en a marre de vivre dans l’obscurité de la classe moyenne, on a besoin d’argent pour s’acheter des châteaux (rires). Et une voiture de sport ! J’aimerais bien une voiture de sport. T’aimerais pas, Martin ?

Martin : j’aimerais avoir une maison loin de ma famille (rires).

 

Vous êtes aussi très engagés politiquement, exaspérés par beaucoup de choses politiques dans ce monde…

Stuart (Il m’interrompt) : il y a beaucoup de choses exaspérantes !

 

Ce n’est pas frustrant d’être dans un groupe presque exclusivement instrumental et de ne pas pouvoir exprimer vos sentiments grâce aux textes ?

Martin : non, on peut s’exprimer sur les réseaux sociaux.

Stuart : et puis je pense qu’il est très difficile de bien exprimer des propos politiques, peu de gens y parviennent sans prêcher ou dire ce que les gens savent déjà comme…

 

Comme « Trump craint ».

Stuart : voilà, ça on le sait depuis des années ! Non, ce n’est absolument pas une frustration.

 

“Ride, Jesus & Mary Chain et My Bloody Valentine nous ont montré la voie de la musique à guitare noisy, et c’était bien sûr une grosse influence pour nous.”

© Brian Sweeney

 

Quand vous avez fait la BO d’Atomic, c’était justement une façon d’exprimer votre engagement politique, vous avez fait une tournée pour ce disque. Je vous ai vu à La Philharmonie de Paris, vous étiez comme cachés sur scène, votre volonté était de simplement accompagner le documentaire, et non le contraire. Une façon de donner un maximum d’impact aux images je suppose.

Stuart : on voulait que les gens regardent le film, pas nous. Simplement accompagner le film, lors d’un des concerts au Japon on a joué derrière l’écran à cause de la logistique et c’était vraiment cool parce qu’on voulait que les gens ne prêtent attention qu’aux images et à la musique. On a joué sans la moindre lumière, debout dans l’obscurité. Le principal devait être le message du film, pas nous. Vraiment pas.

 

J’ai lu que certaines personnes étaient tombées dans les pommes pendant des concerts, je n’irai pas jusqu’à vous demander si c’était l’objectif mais vous aviez besoin de choquer les gens, de les mettre face à la réalité et face aux conséquences de ce qui s’est produit ?

Stuart : nous avons joué aux Etats-Unis au moment de l’inauguration de Trump, il y avait vraiment un sentiment d’anxiété dans l’air, une atmosphère étrange dans tout le pays. Je ne sais pas si le timing était bon ou mauvais mais beaucoup étaient plongés dans l’incertitude avec ce type qui devenait président, ça faisait un peu trop pour le public.

 

En parlant de bandes originales vous en avez déjà composées quelques-unes, vous considérez qu’elles font totalement partie de votre discographie, ou c’est une sorte de parenthèse, de récréation ?

Stuart : pour Atomic et Les Revenants, même si ce sont des musiques de films, on les traite comme des albums bizarrement.

Martin : on a travaillé la plupart des morceaux pour qu’ils sonnent comme du Mogwai. Dans la série Les Revenants il n’y a que des bouts de morceaux, nous les avons étendus pour les rendre intéressants à écouter. Tous les morceaux ont été écrits de façon à ce que ça ressemble vraiment à un album.

 

Vous allez jouer avec Ride à la fin de l’année à Glasgow, j’ai vu que vous étiez assez honorés de partager l’affiche avec eux. C’était un groupe important pour vous ?

Stuart : oui c’est un très bon groupe. Eux et des groupes comme Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine nous ont montré la voie de la musique à guitare noisy, et c’était bien sûr une grosse influence pour nous. Ce sont de chouettes personnes en plus, on les a rencontrés il y a quelques années à plusieurs occasions et c’était très cool. On va jouer avec eux à Tokyo aussi, ça va être marrant.

 

L’année dernière je parlais avec Justin Lockey des Editors (interview de Minor Victories) et il me disait qu’il n’a jamais joué avec quelqu’un qui joue aussi fort que toi ! (Ils se marrent) Donc forcément j’ai pensé que ces guitaristes shoegaze ou quelqu’un comme Thurston Moore ont dû être très importants pour toi.

Stuart : oui, bien sûr. Kevin Shields (My Bloody Valentine), Andy Bell (Ride), William Reid (Jesus & Mary Chain)… Ce genre de musiciens ont clairement été très influents sur moi.

 

“Il y a du snobisme à propos du hip hop, beaucoup de gens disent que ce n’est pas de la vraie musique parce qu’il y a beaucoup de samples, etc. Mais tous ces mecs, Mobb Deep ou ceux du Wu-Tang Clan ou Nas, ce sont de supers musiciens.”

© Brian Sweeney

 

Vous avez déjà rencontré Damon Albarn ? Vous êtes toujours de bons amis à lui ? (rires) (En 1999, Mogwai a commercialisé des t-shirts dont le slogan était : « Blur c’est de la merde »)

Stuart : je l’ai rencontré une fois, mais je ne suis pas sûr qu’il savait que j’étais le mec de Mogwai…

Martin : je l’ai rencontré à l’aéroport de Glasgow. Il savait qui on était, on était dans le même avion. Il est venu me voir et on s’est parlé. Il était plutôt sympa, c’était un soulagement (rires). On a parlé à Graham Coxon aussi, non ?

Stuart : oui.

Martin : c’était un mec sympa. Pourtant quand j’ai vu ces mecs dans l’avion, je me suis dit « c’est des géants ! (rires) ». J’ai pensé « oh mon dieu, ils vont m’exploser la tronche ! » (rires).

 

Tu t’es planqué ? (rires)

Martin : franchement j’ai un peu flippé. Je pensais que c’était des petits mecs tranquilles et en fait ils en imposaient grave. Je me suis dit « et merde » (rires)…

 

Bon au moins ça s’est bien passé !

Hier Stuart tu as posté un message à propos de la mort de Prodigy de Mobb Deep. Tu aimais leur musique ? Tu écoutes beaucoup de hip hop ?

Stuart : oui j’écoute énormément de hip hop. Et ce genre de héros, du milieu des années 90, le hip hop de New York…

 

Le meilleur !

Stuart : oui probablement le meilleur. C’était un mec très talentueux, jeune en plus, du même âge que nous. Je trouve qu’il y a du snobisme à propos du hip hop, beaucoup de gens disent que ce n’est pas de la vraie musique parce qu’il y a beaucoup de samples, etc. Mais tous ces mecs, Mobb Deep ou ceux du Wu-Tang Clan ou Nas, ce sont de supers musiciens au même titre que d’autres. Tellement de présence, de talent… C’est du lourd !

 

D’ailleurs je te demandais ça parce que j’ai vu que tu portais un t-shirt de Public Enemy au concert de Primavera.

Stuart : oui, j’adore Public Enemy. C’est un groupe fantastique !

Martin : quand on a joué au festival d’Isle of Wight, leur loge était à côté de la nôtre, je voulais allé saluer Chuck D et je ne l’ai pas fait…

Stuart : ce serait cool ! La prochaine fois, on va le voir pour lui parler. C’est un héros pour moi, vraiment.

 

Si ça se trouve vous êtes des héros pour lui aussi.

Stuart : je pense qu’il ne sait pas qui on est.

Martin : ce serait bien en tout cas. Je suis sûr que c’est un mec sympa.

 

Il nous reste peu de temps, on va revenir un peu à Mogwai (rires). Young Team aura 20 ans à la fin de l’année. Il y a quelque chose de prévu pour l’anniversaire, des concerts particuliers ou une réédition ?

Stuart : on va sûrement prendre des poppers (rires). Des poppers et du cidre pour fêter ça !

Martin : ouais on boit beaucoup de cidre.

Stuart : on sera en tournée à cette période.

Martin : on avait sorti une édition anniversaire de Young Team non ?

Stuart : oui je sais pas si on peut faire un truc pour les 20 ans. C’est une autre affaire…

Martin : les gens nous demandent souvent ce genre de trucs.

Stuart : je peux le comprendre, ils veulent être sûrs de se procurer les disques.

Martin : en vinyle.

 

Vous avez quelques titres inédits pour faire un beau coffret (rires) ?

Stuart : on avait sorti un coffret, avec quelques morceaux inédits. Ça serait bien qu’il soit encore disponible.

 

Oui, c’est assez compliqué à trouver.

Stuart : après je ne suis pas sûr qu’on le vendrait. Qui achèterait ça ?

 

Moi je l’achèterai ! (rires)

 

Entretien réalisé par JL, merci à Quentin Gidrol pour l’organisation de cette interview.

 

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