Interview – François Corbier

Publié par le 21 mai 2016 dans Interviews, Toutes les interviews

Si vous fréquentez régulièrement notre site, vous savez que nous adorons la musique des années 90. Alors, légitimement, en voyant Corbier interviewé par nos soins, vous vous dites que finalement, nous sombrons nous aussi dans la nostalgie en vogue, à regretter la Megadrive, Sauvé par le Gong et les pogs, Denver le dernier dinosaure, 2 Unlimited et le tamtam, Benny B, la k7 audio et le Club Dorothée. Et bien même pas ! Bon, on appréciera toujours de se faire un petit Streets Of Rage entre amis, on reste des gens civilisés, mais pour le reste, quand un truc était clairement mauvais, pourquoi le regretter ? (dans tes dents, la k7 audio !) Être nostalgique, c’est trop souvent oublier qu’on s’emmerdait autant à l’époque qu’aujourd’hui, et ça, c’est le principal intéressé qui le dit.

Car oui, Corbier n’est pas un nostalgique, Corbier n’est pas un personnage perdu dans le passé, même s’il rend honneur à ceux qui l’ont inspiré, Corbier n’est pas un chanteur pour enfants, et Corbier n’est d’ailleurs même pas Corbier. Son véritable pseudonyme, celui qu’il a pris dès le départ et qu’il a repris après son passage à la télé histoire de prendre un peu ses distances, c’est François Corbier. Directement inspiré du véritable nom du poète François Villon, histoire de clouer le bec à ceux qui pensaient qu’un des acteurs du Club Dorothée ne devait pas avoir beaucoup de culture. François Corbier est un chansonnier (c’est comme ça qu’il faut dire) prolifique et talentueux, qui a sorti 6 albums en 15 ans (déjà !) depuis la fin du Club Dorothée, et qui a retrouvé ses premières amours, la chanson à texte, drôle et engagée. Histoire de casser un peu les préjugés que vous pouvez avoir sur le personnage, vous pouvez vous écouter ses disques. Nous, on s’est dit que ce serait pas mal de lui donner la parole…

“On ne peut pas faire la révolution avec une chanson, ça peut aider les révolutionnaires à se sentir heureux, mais c’est pas une chanson qui va révolutionner le monde.”

Corbier 4 - une

Votre frère est comédien et vous chanteur. Êtes-vous né dans une famille d’artiste ou ces vocations sont-elles venues par hasard ?

Tout à fait par hasard. Nous sommes orphelins de père, moi j’avais deux ans quand mon père est mort et s’il chantait, c’était tout à fait en amateur. Et ma mère n’a jamais eu de profession artistique.

 

Comment êtes-vous arrivé à la chanson ?

Ça s’est fait d’une façon un peu cocasse. C’était la mode des chanteurs à guitare, avant les guitares électriques, et mon frangin s’était acheté une guitare au moment de partir faire son service militaire en Algérie. Et lorsqu’il est arrivé au Fort de Vincennes avec sa guitare, on lui a dit qu’il ne pourrait pas emporter sa guitare en Algérie. Donc il est revenu à la maison, il a laissé sa guitare et comme je m’emmerdais un peu pendant que mon frangin faisait le crétin pour le Général De Gaulle, je lui ai piqué sa guitare, j’ai appris à en jouer et quand il est revenu de son service, j’avais écrit quelques chansons que je lui ai faites en lui demandant son avis. Il m’a dit « J’y connais rien, j’en sais rien. Il faudrait qu’on demande à un professionnel ce que ça vaut. » Sauf qu’on ne connaissait aucun professionnel, et mon frangin m’a dit « Y a Brassens qui a l’air d’être sympa, on va aller le voir à Bobino et on lui demandera d’écouter tes chansons. » Et c’est ce qu’on a fait, on est allé à Bobino, je lui ai chanté mes petites âneries, ça l’a fait marrer et il m’a dit « Est-ce que vous voulez faire un disque ? » et je lui ai dit « Maman voudra pas. » Voilà, c’est comme ça que ça a démarré. Après, avec mon frangin, on a monté un numéro de duettiste avec les chansons que j’avais écrites, et ça a démarré comme ça.

 

Vous avez appris complètement en autodidacte ? J’imagine, puisqu’à l’époque il n’y avait pas internet pour trouver des tablatures…

Non, mais il y avait d’autres moyens. J’habitais à la Bastille, et pas loin il y avait Paul Beuscher où on pouvait acheter des partitions pour des tarifs extrêmement bas. On pouvait aussi aller dans n’importe quelle maison d’édition, à l’époque, il y en avait pas mal, et une maison d’édition est tenue d’éditer sur papier les chansons dont ils sont responsables en tant qu’éditeur. On allait par exemple à la maison d’édition de Charles Aznavour en disant qu’on voulait des partitions et on nous donnait cinquante partoches, voire plus. On pouvait aller partout comme ça et on avait les partitions avec le chiffrage. Comme c’était des chansons qu’on entendait en radio, c’était assez facile, on connaissait la mélodie, on voyait les accords marqués et il suffisait ensuite de chanter le texte et de mettre les accords là où il fallait. C’était pas très très dur, et des petits livres avec des accords de guitare, ça existait déjà depuis très longtemps. Mais c’était pas vraiment une façon d’apprendre à jouer de la guitare, c’était une façon d’apprendre à chanter une chanson en mettant des accords dessus.

 

Quelles sont vos influences ?

C’est Brassens, vraiment, qui m’a donné envie d’écrire des chansons. Mais j’écoutais à la radio les chanteurs de cette époque-là, c’est-à-dire Félix Leclerc, Pierre Perret, et d’autres types qui ont disparu mais que j’aimais beaucoup comme Mouloudji.

Comme tout le monde, il m’est arrivé de siffloter plein de chansons d’artistes dont je n’ai jamais acheté un disque, juste parce que j’avais entendu la chanson à la radio et qu’elle m’était rentrée dans le crâne. Une chanson, c’est une chanson. On ne peut pas faire la révolution avec une chanson, ça peut aider les révolutionnaires à se sentir heureux, mais c’est pas une chanson qui va révolutionner le monde. Enfin, je crois pas.

 

Vous avez commencé la chanson à la fin des années 60, et vous avez très vite bifurqué vers des chansons plus humoristiques. Qu’est-ce qui a déclenché ce changement ? A moins que ça n’ait été ça dès le départ ?

Ah non, c’était que ça, au départ. C’était que des chansons rigolotes. Et que des chansons extrêmement courtes parce que je ne savais pas écrire de chansons. Donc j’écrivais des chansons en 4-5 vers, et tout le monde me disait « c’est formidable, personne ne fait ça, tu devrais faire un disque avec ça ! » Bien sûr, les maisons de disque n’étaient pas intéressées du tout, il n’y avait pas de marché pour ça. Personne ne connaissait ce genre, les chansons flash, ça n’existait pas. J’avais peut-être 16 ans, à l’époque, vers 1960.

 

Pouvez-vous expliquer le concept de chansons flash à nos lecteurs ?

Je peux vous en faire une :

Si les profs des écoles sont pédophiles, mon bébé, c’est pour que le monopole ne reste pas chez les curés.

Ce sont des chansons extrêmement courtes. Par exemple, il y a ce chanteur dont j’ai oublié le nom, qui est très à la mode, qui montre son cul partout… Qui chante « Ma Banane », « Je Monte Le Son »… Philippe Katerine ! Il a fait un disque il y a deux, trois ans uniquement avec des chansons comme ça, extrêmement courtes, et ça me fait beaucoup rire parce que j’ai lu et entendu des quantités de gens de ce métier crier au génie, « C’est formidable, c’est une idée de fou, y a que lui pour faire ça… » Mon cul, oui ! Il y a des milliards de gens qui font ça depuis des années, et ça se faisait au XIXe siècle sous une autre forme qui était uniquement écrite, qu’on appelait les fables express. C’est exactement le même procédé. Donc c’est pas un truc récent, c’est un truc qui date de très longtemps. Le type qui a donné le nom de chanson flash, c’est le père d’Eric Serrat, le compositeur du Grand Bleu. Il avait fait l’Olympia avec Jacques Brel. Moi, je suis arrivé tout de suite après et mes chansons flash étaient encore plus courtes. Dans tous les cas, c’est pas un truc nouveau.

 

Vous connaissiez déjà ce format ?

Non non, c’est rigolo parce que je ne savais pas que ça existait, j’étais totalement innocent avec ces choses-là. Brassens ne devait pas non plus connaitre ça puisqu’il m’avait encouragé à continuer d’en écrire et il ne m’avait pas dit « Y a un type qui s’appelle Claude Serrat qui fait aussi le même genre. » C’est donc tout à fait par hasard qu’un jour j’ai découvert son existence, je suis allé le voir, il habitait du côté de Perpignan, il avait quitté le métier et je lui ai demandé si ça ne le gênait pas que je fasse des chansons dans le même esprit que ce qu’il faisait. Il m’avait répondu « Pas du tout, si vous ne chantez pas les miennes, ça ne me gêne pas. Peut-être qu’un jour je reviendrais à la chanson. » Je lui avais promis de ne jamais les chanter, et ça s’est fait comme ça. C’était un pur hasard.

 

Quand vous avez sorti votre premier disque, c’était des chansons beaucoup plus traditionnelles…

Oui, oui, bien sûr, car comme je vous disais, la chanson flash, ça n’intéressait pas les maisons de disque, et ça n’intéressait même pas les patrons de cabaret qui pensaient que j’étais zinzin. Ils se disaient « pauvre garçon, il se rend pas compte, ça ne veut rien dire, ça ne marchera pas, les gens n’accrocheront jamais là-dessus, ça n’est pas possible ! » Donc j’ai été repéré un jour dans un concours de chant organisé par France Inter qui s’appelait « La Fine Fleur de la Chanson Française » et là, j’avais été chanter des chansons de taille à peu près normale, j’avais entre-temps appris à écrire quelques chansons. Mon premier producteur, qui s’appelle Alain Barrière, m’a dit « laisse tomber les chansons flash, ça marche pas, mais vas-y avec des chansons normales » et mon premier disque a été un disque de chansons, on va dire, traditionnelles.

 

Abordez-vous différemment la conception de ces chansons par rapport à des chansons plus traditionnelles, ou est-ce dans le fond la même chose ?

Non, c’était un travail différent parce que la chanson flash, c’est une idée très courte, il faut que ce soit percutant tout de suite, alors que dans une chanson…Une chanson, c’est une idée simple qui doit se dérouler sur trois ou quatre minutes alors que pour faire trois minutes en chanson flash, il faut quatre, cinq ou six idées. Donc c’est pas du tout la même démarche. C’est beaucoup plus complexe à faire.

 

C’est plus difficile d’écrire moins ?

(il rit) Ouais, c’est bien ça.

 

“J’aime bien le rock’n roll jusqu’à 1964. Après, c’est plus du tout du rock’n roll.”

Corbier 1

 

J’ai lu que vous avez tourné avec Serge Lama et Michel Sardou. Vous qu’on sent plutôt engagé à gauche, on ne vous imagine pas trop dans l’entourage de ces chanteurs. Comment ça s’est passé ?

J’ai travaillé en collaboration sur la tournée d’Alain Barrière, qui était mon producteur, et dans cette tournée il y avait Serge Lama ou Michel Sardou en vedette américaine. Je n’avais pas mon mot à dire. On m’avait mis dans une tournée où il y avait ces gens-là. Je m’entendais très bien avec Serge Lama qui était un joyeux drille, avec qui je rigolais beaucoup, mais on ne parlait pas de politique. Quant à Sardou, il était très jeune chanteur, il avait fait une chanson qui avait dû marchoter, il était très poussé par le même agent qu’avait Alain Barrière… Je peux pas en dire grand-chose. Il était gentil, il était agréable. A l’époque, je n’avais pas de conscience politique, et j’étais incapable de savoir si ce que chantaient ces gens était de droite ou de gauche. J’ai découvert par la suite que dans certaines chansons de Sardou y avait des choses qui me plaisaient pas. Chez Serge Lama, j’ai jamais remarqué d’engagement politique. Peut-être que d’autres à ma place auraient eu une conscience plus raide, je ne peux pas dire, je ne sais pas. Moi, c’est arrivé quelques temps après. Je crois que cette tournée était en février 68 et je me suis retrouvé quelques mois plus tard à chanter dans les usines avec Maxime Le Forestier, sa sœur et Moustaki. D’un seul coup, il y a un bouleversement. À l’origine, lorsque j’ai créé mes chansons, je ne cherchais pas à être de droite ou de gauche, j’essayais d’écrire des chansons et j’espérais que ça plairait à des gens.

 

Vous avez sorti peu de disques avant les années 80. Etait-ce par choix, par contrainte ? 

Non, c’était pas un choix. J’avais donc été produit par Alain Barrière et comme le disque n’avait pas marché, j’ai préféré me séparer de lui et lui laisser la tranquillité de ne pas avoir à s’occuper de quelqu’un qui ne vendrait pas de disques. On s’est séparé, on ne s’est pas revu après et puis voilà. N’ayant pas de contact avec d’autres maisons de disque, et puis je commençais à me rendre compte que vocalement, je n’étais pas ce qu’on appelle un chanteur. C’était pas simple, quoi, donc je cherchais pas tellement à faire de disque.

 

C’est vrai que j’utilise spontanément le terme de « chanteur », peut-être à tort. Vous préférez « chansonnier » ?

Chanteur, ça veut dire quelqu’un qui a une voix qui correspond à quelque chose qu’on connait bien. Moi j’ai une voix un peu étrange, qui n’est pas une voix typique de chanteur. Mais c’est pas parce qu’on n’a pas une voix de chanteur qu’on n’a pas le droit de chanter.

J’aime bien qu’on dise chansonnier parce qu’effectivement, j’entre plutôt dans une catégorie qu’on appelle aussi auteur-compositeur chez nous, songwriter aux Etats-Unis. Voilà, comme ça.

 

Dans les années 80, vous devenez chanteur pour enfants…

Ça, c’est tout à fait par hasard ! J’étais allé chanter au Québec et lorsque j’en suis revenu, j’ai été remarqué par différentes personnes, et d’un seul coup les patrons de cabaret se sont intéressés à moi parce qu’on parlait de moi dans tous les coins, France Inter et tout ça, je sais pas, ça avait bien bien marché à Québec et quand je suis revenu, les gens qui avaient fait le voyage avec moi se sont mis à parler de moi, le public s’est retrouvé dans mes chansons… D’un seul coup, le personnage est devenu crédible, et je me suis mis à faire plein plein plein de cabarets alors que quelques mois avant, je crevais la faim. Donc ça a été tout à fait étrange, en l’espace de six mois, un an, ma vie a été complètement bouleversée. Et un jour, dans un théâtre de chansonniers qui s’appelle le Caveau de la République, il y a la maman d’Antoine de Caunes, madame Jacqueline Joubert qui est décédée maintenant, qui était venue dire bonjour à ses amis chansonniers. Elle m’a vu et ce jour-là dans la salle, il y avait quelques enfants avec leurs parents, ce qui était assez rare vu que c’était un spectacle pour adultes, et les gosses riaient, donc Jacqueline Joubert m’a chopé à ma sortie de scène en me disant « écoutez, vous faites rire les parents, vous faites rire aussi les enfants, est-ce que vous voulez présenter une émission destinée à la jeunesse en compagnie de Dorothée ? » Je savais pas qui était Dorothée, je ne connaissais pas l’émission en question [Récré A2], et je lui ai dit « Bah ouais, moi je veux bien. »  Je suis pas un mec très compliqué, moi, on me propose du boulot, j’y vais ! Et voilà, je suis rentré à la télévision tout à fait par hasard. Mais j’étais totalement persuadé qu’ils allaient me foutre à la porte très rapidement ! Je l’ai su après, mais ils avaient foutu à la porte Gotlib parce qu’il déconnait trop, et moi je me connais, je savais qu’on me mettait sur une mauvais pente, j’allais glisser dessus joyeusement. Donc je m’étais dit qu’au bout de deux ou trois émissions, ce serait fini. J’ai eu du pot, ça a duré quinze ans, donc j’ai eu beaucoup beaucoup de chance.

 

Là encore, abordiez-vous l’écriture de chansons pour enfants différemment des autres ?

Je pourrais vous dire oui, mais en réalité, c’est relatif. C’est pas tout à fait vrai, parce qu’en fait, la chanson pour enfants, c’est comme la chanson pour adultes, sauf que le vocabulaire ne peut pas être exactement le même parce que les enfants, quand on s’adresse à eux directement, ne peuvent pas connaitre ou comprendre certains mots. Mais si les enfants écoutent avec un public adulte des chansons écrites pour des adultes et que les adultes acceptent d’expliquer aux enfants de quoi il s’agit, il n’y a aucun souci, les enfants peuvent comprendre tout si on leur explique.

 

Cette double carrière de chanteur pour adultes qui compose également pour les enfants me fait penser à Anne Sylvestre. Etait-ce une référence pour vous ?

C’est une femme que j’aime beaucoup, on s’entend bien. Curieusement, ses fabulettes étaient assez courtes aussi. J’aimais bien ça, c’était mignon, très tendre. Je ne sais pas si elle aime mes chansons, ni même si elle les a écoutées. C’est pas important, ce qui est important, c’est que quand on se voit, on est sur la même longueur d’onde. Je la connaissais depuis mes 17, 18 ans, avant de faire des chansons pour enfants, elle faisait de la chanson pour adultes. Elle n’aime pas qu’on rappelle ça, mais on l’appelait la Brassens en jupon. Mais je n’avais pas du tout en tête de faire comme elle quand j’ai fait de la chanson pour enfants. J’ai connu aussi un chanteur suisse, je ne sais plus son nom [Henri Dès], je suis très mauvais avec les noms, qui fait aussi de la chanson pour enfants, et je l’ai connu quand il faisait du cabaret, il faisait des chansons pour adultes. Un jour, il a fait des chansons pour enfants, ça a marché et il a pris ce créneau ; et il a bien fait.

 

Vos textes pour enfants sont étonnamment subtils, bourrés de références et de jeux de mots finalement difficiles à saisir pour un enfant (je pense notamment à “Sans Ma Barbe”). Etait-ce un moyen de vous adresser aussi aux adultes, ou simplement d’écrire des choses de qualité pour ce public ?

C’est gentil de dire « des choses de qualité », mais c’est très discutable. Et c’est d’ailleurs très discuté, il y a toujours des gens qui n’acceptent pas du tout ce que j’ai pu raconter dans cette chanson et qui m’en tiennent rigueur, et d’autres qui apprécient le fait d’avoir fait une chanson pour enfant tout en glissant des références compréhensibles pour un public d’adulte. Tout ça est vrai, mais il faut aussi se souvenir, et c’est là où les gens qui n’aiment pas cette chanson pour ça font une erreur, que les chansons qu’on appelle enfantines ou folkloriques sont à 90% des chansons pour adultes qui ont été récupérées par les enfants, mais pas du tout des chansons écrites pour les enfants. Quand on chante « Il court, il court le furet », il faut comprendre « il fourre, il fourre, le curé ». Il n’y a presque pas de chansons typiquement pour enfants, c’est quelque chose de très très moderne. Les chansons à double sens que les enfants adorent chanter ont toujours existé et le jour où le répertoire pour adulte ne tombera plus dans le répertoire pour enfant, c’est qu’on aura fait une connerie quelque part.

 

“Il ne faut pas oublier qu’une maison de disque, ce n’est pas une maison d’artistes, c’est un vendeur, c’est un commerçant. Le commerçant, lui, ce qu’il veut, c’est vendre.”

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Vos chansons de l’époque, que j’imagine toutes composées sur une guitare acoustique, ont une production vraiment typée du travail de Jean-Luc Azoulay, avec des boites à rythmes et des effets assez ringards aujourd’hui. Ça vous dérangeait que ce travail d’arrangement soit fait ? Qu’en pensez-vous avec le recul ?

J’avais assez peu mon mot à dire, et puis, ça fonctionnait comme ça. C’était l’époque, ce son-là était copié des trucs de danse qui se faisaient à l’époque. Ça marchait comme ça, on me posait pas la question et je crois que personne ne se posait la question. Il ne faut pas oublier qu’une maison de disque, ce n’est pas une maison d’artistes, c’est un vendeur, c’est un commerçant. Le commerçant, lui, ce qu’il veut, c’est vendre. Donc, si y a quelque chose qui marche, il va décliner cette chose à travers tous les artistes, il va faire plein de produits qui sont quasiment tous identiques, le même genre de son, le même genre de voix, le même genre d’histoires… Voilà, ça fonctionne comme ça, c’est une maison de disque. Si on n’aime pas les maisons de disque, il faut pas y aller. Moi, j’avais envie de faire du disque, j’étais dans une production de choses pour enfant. On me demandait d’écrire des chansons et puis un jour, on me disait « Tiens, tu veux pas enregistrer celle-là ? », et j’en vendais douze. Je ne peux pas dire avec le recul… je ne les réécoute jamais. Mais je ne réécoute pas plus ce que je fais aujourd’hui !

 

Alors que vous composiez presque une chanson par semaine dans Récré A2, vous chantez de moins en moins dans le club Dorothée. Pourquoi ? Ça ne vous manquait pas trop ?

Lorsque je suis entré à la télévision, c’était pour écrire une chanson chaque semaine. J’ai été embauché pour ça. Et j’écrivais des chansons pour consoler les enfants de leurs petits malheurs, c’était le nom de la séquence. Alors, les enfants m’écrivaient sur une carte postale et me racontaient ce qui leur était arrivé dans la semaine, et moi pour les consoler, je rigolais avec ça et puis voilà. J’espère que ça les faisait rire. En tous les cas, la séquence fonctionnait bien. Lorsque j’ai quitté le service public pour suivre Dorothée, parce que le service public ne m’offrait rien, si le service public m’avait offert quelque chose, je serais sans doute resté, mais puisqu’on ne m’offrait rien, autant aller servir la soupe à Dorothée plutôt qu’à une autre comédienne qui était bien gentille, mais tant qu’à faire autant servir la soupe là où c’est utile… Donc, j’ai suivi Dorothée et là, on m’a pas demandé de faire la séquence des « Petits Malheurs », sans doute qu’ils n’auraient pas eu le droit, c’était une séquence qui appartenait à l’autre chaîne. Lorsque je me suis retrouvé chez AB Productions, là, on m’a pas demandé de faire le boulot de chansonnier pour enfants que je faisais, là, on m’a demandé de faire comédien. C’est-à-dire que je n’avais pas un contrat d’animateur mais de comédien, c’est ce qui était marqué sur mon contrat et ma fiche de paye. Et c’était justice, puisque tout ce que nous disions, tout ce que nous faisions était écrit, mis en scène, nous étions habillés non pas comme nous le désirions mais comme la prod avait décidé, donc c’était effectivement de la comédie. Nous jouions la comédie et ça nous plaisait bien comme ça. Lorsque de temps en temps, monsieur Azoulay me disait « pourquoi tu reprendrais pas ta guitare pour nous faire un petit truc ? », je lui disais que je ne le sentais pas du tout. J’avais pas envie, parce qu’il y avait le groupe de musiciens qui accompagnaient Dorothée, Les Musclés, et moi je me voyais pas arriver avec ma guitare sèche derrière eux qui avaient des synthés, saxophone, basse électrique, enfin des instruments puissants, qui chantaient à plusieurs voix… C’était costaud, tu vois ce que je veux dire ? C’était pas un truc léger léger. Moi, arrivé derrière avec ma guitare, je savais que les mômes allaient zapper, allaient se barrer, parce qu’il n’y avait pas le même niveau sonore, y avait pas le même truc, quoi. Alors j’avais la trouille et j’ai préféré dire non. C’est pour ça qu’on ne me voyait pratiquement jamais avec une guitare dans les émissions du Club Dorothée.

 

 

Jacky Jakubowicz (journaliste rock à la base), que vous avez fréquenté quotidiennement pendant des années, vous a-t-il ouvert à la culture rock ?

Non. Pourquoi ça ne m’a pas fait changer mon point de vue ? Ça vient sans doute du fait que quand je suis rentré à la télé et que je l’ai connu, j’avais 40 ans, donc mes goûts étaient faits, mes envies prenaient forme, et je n’avais pas envie de me trahir en disant que, par exemple, David Bowie c’est génial. Je ne pouvais pas dire ça, je ne savais pas ce qu’il foutait. Ça ne veut pas dire que c’est mauvais, attention, mais je ne suis pas concerné.

J’aime bien le rock’n roll jusqu’à 1964. Après, c’est plus du tout du rock’n roll. Ça ne veut pas dire que j’aime pas, j’aime beaucoup les Beatles, moins les Stones, m’enfin j’aime bien les Stones, et tout ce qui a pu se faire après, c’est ou de la pop ou de la musique extrêmement complexe, mais ce que j’appelle le rock’n roll, c’est les pionniers du rock’n roll, c’est-à-dire des années 30 à l’arrivée des Beatles, et ça, j’aime vraiment. C’est plus de la musique country, blues, ça j’aime beaucoup. Je ne suis pas un grand spécialiste, mais j’aime bien ça. Ce qui va se faire après, je connais pas du tout. C’est difficile d’en parler sainement parce que je ne connais pas. Je connais extrêmement mal et souvent, ça ne m’intéresse pas ; l’impression que j’ai, c’est que c’est souvent de la musique pour danser, et moi je danse pas, donc ça m’emmerde. Ca va pas plus loin que ça, je n’aime pas les sons et je ne comprends pas ce qu’on y raconte, donc je ne peux pas dire. Je ne suis pas touché, quoi.

Pour te dire, je dévie un peu, lorsque j’étais gamin j’adorais aller au cirque, et on y voyait des mecs qui jonglaient avec leurs pieds en utilisant des instruments. Ça faisait marrer les gamins, et le type qui faisait ça n’était pas une star, il devait gagner honnêtement sa vie mais pas des mille et des cents non plus. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les mecs qui remplissent des stades sont des types qui jonglent avec leurs pieds devant cinquante mille personnes. Ça m’emmerde. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la musique, pas de voir un mec qui jongle avec ses pieds.

 

Heureusement, il n’y a pas que la musique de stade dans le rock, il y a un entre deux !

Oui, heureusement. C’est sûr que quand un mec comme Dylan arrive, je trouve ça formidable, j’adore ce qu’il fait. Je trouve ça épatant, épanouissant, enfin quelqu’un qui fait des chansons où il raconte des choses, quoi. C’est bien. Parce que j’avais l’impression qu’on était en train de perdre cette idée que la chanson voulait dire des choses. Donc je suis heureux de voir qu’aux Etats-Unis, il y a des mecs qui essayent, et que là-dessus il y a plein de mecs qui le font dans le monde entier. Raconter des histoires en chanson, je trouve ça très beau et très intéressant.

 

Après la fin de votre carrière à la télévision, vous avez mis plusieurs années à revenir à la chanson. Pourquoi ?

Quand j’ai quitté la télé, c’était en 96. Les émissions se sont achevées en 97, on m’a demandé de venir refaire les dernières émissions avec eux, j’ai accepté parce que je n’étais fâché avec personne. Donc j’ai accepté de faire les dernières émissions et après ça, il a fallu que je me remette à l’écriture, ce qui était difficile, c’était pas gagné. Je me souviens qu’un soir, j’étais pas très très en forme dans ma tête, ni dans mon foie, j’ai croisé Maxime Le Forestier qui m’a demandé ce que je faisais. Quand je lui ai répondu « j’m’emmerde », il m’a répondu « t’as pas le droit de t’emmerder, t’as qu’à te remettre à écrire des chansons. Ce sera difficile au début parce que ça fait longtemps, mais tu y arriveras, tu sais écrire. » Et ça m’a vraiment boosté, je me suis dit que si un type comme lui, qui a une carrière importante, qui a écrit des choses formidables qui resteront sans doute dans la mémoire de beaucoup de gens, me dit « tu sais écrire, reprends ta guitare », c’est qu’il faut peut-être que je le fasse. Je suis rentré chez moi, je faisais des travaux à l’époque, je cassais des murs et j’avais un stylo et un crayon pas loin de moi. Quand tu fais un travail manuel, t’as l’esprit libre, et donc je tapais sur les murs, je les cassais et mon esprit gambadait. J’allais de temps en temps écrire une phrase sur du papier. Je me suis remis à écrire des chansons à partir de ce moment-là.

Une fois que j’ai écrit des chansons, j’ai essayé de les montrer à diverses personnes qui n’ont pas eu l’air d’être très passionnées, mais il fallait que je montre mes chansons alors j’ai enregistré un disque et je suis allé chanter à Avignon. Il s’était passé, je sais pas, trois, quatre ans avant que je refasse surface. Ça a été une période très très difficile.

 

Quand vous composez, écrivez-vous d’abord les textes ou la musique ?

Alors, c’est souvent un peu des deux, mais la musique primale, la première musique, me sert uniquement à avoir des pieds. Ça me permet d’avoir une écriture qui va être répétitive d’un couplet à l’autre. Ensuite, souvent, j’abandonne cette musique et j’en refais une autre. Mais quelques fois, la musique ne colle plus bien avec les mots et je suis obligé de les refaire, et une fois que je les ai refaits, je trouve que la musique ne va plus… donc ça peut durer comme ça pendant un an, deux ans, dix ans ! Parce que c’est un avis qui est entre moi et moi ! Peut-être que de temps en temps, je suis passé à côté d’une musique qui était chouette parce que je ne l’ai pas senti, j’ai estimé que c’était pas terrible et j’ai préféré la refaire.

 

Vous ne jouez plus que “Plante Un Jardin” de votre répertoire pour enfants. Pourquoi celle-ci ?

Parce que c’est une chanson que je n’ai pas écrite pour la télé. Je l’ai écrite avant. Et ce n’est pas une chanson pour enfants, c’est une chanson pour adultes qui peut être comprise par des enfants.
“Je me suis dit que j’allais essayer de faire des chansons plus sérieuses, mais j’ai pas la gueule pour le faire, donc je me démerde pour faire des chansons drôles sur des sujets graves”

© Vincent Capraro

© Vincent Capraro

 

Vous ne jouez plus “Sans Ma Barbe” ou “Le Nez de Dorothée”, est-ce pour marquer la différence avec l’image que les gens ont de votre carrière ?

Oui, oui c’est pour ça. C’est pour dire aux gens « Vous avez connu Corbier, maintenant c’est François Corbier qui est devant vous et François Corbier ne joue pas le répertoire de Corbier. »

 

Votre retour à la chanson pour adulte était-il une évidence ou le fruit d’un cheminement ?

Non, c’était pas évident du tout. C’était pas évident du tout parce que d’une part ce métier ne m’attendait pas, le public non plus, donc c’est pas facile, et puis j’avais pas cette voix que j’aurais aimé avoir. Tout à l’heure, tu me questionnais sur Serge Lama, j’aurais aimé avoir une voix comme ça, ou si tu préfères la voix de Billy Paul, puisqu’il vient de mourir. C’est une voix comme ça que j’aurais aimé avoir, pas une voix de fausset ou de ténorino, j’aurais voulu avoir une belle voix bien ronde, bien chaude. Pour chanter des choses un peu plus sérieuses, il me semblait que c’était mieux d’avoir une belle voix. Donc je n’osais pas chanter des chansons plus sérieuses lorsque j’ai repris ma guitare. J’avais l’impression d’être à côté de la plaque. J’ai longtemps fait des chansons très dingues et puis, tout doucement, j’ai glissé une chanson plus grave, une chanson sur le SIDA ou sur le naufrage de l’Erika. Et là des gens sont venus me parler, m’ont dit « il faut que tu fasses un choix, maintenant ! Ou tu fais le comique, ou tu fais le chanteur, ou tu fais le chanteur pour enfants. Mais tu ne peux pas être trois trucs en même temps, y a une image qui va être fausse. » Alors je me suis dit que j’allais essayer de faire des chansons plus sérieuses, mais j’ai pas la gueule pour le faire, donc je me démerde pour faire des chansons drôles sur des sujets graves et puis quand j’arrive pas à faire rire, je fais des chansons où tout le monde pleure.

 

Comment s’est passé l’enregistrement de Carnet Mondain, l’album de votre retour ?

Je me suis pas posé de questions, j’ai enregistré les chansons que j’avais écrites, et puis c’est tout. En me disant « on verra bien s’il y a des gens que ça amuse, que ça intéresse. » J’ai eu du pot parce qu’il y a eu des gens qui m’ont invité, à RTL, par exemple. J’ai été assez surpris, ça m’a fait plaisir. Mais je savais pas du tout où j’allais avec ces chansons, ça aurait pu être la détestation totale. En fait, on a dû tirer le disque à 500 exemplaires, et on a été obligé de refaire un tirage parce que ça avait plu au public. Comme on en a vendu 1000 ou 1200, je me suis dit « c’est bien, y a des gens qui m’aiment bien ! Je mourrai pas de faim. » On peut toujours vivre comme ça, chichement, mais au moins vivre de ce qu’on aime faire, sans vendre 20 millions de disques. Maintenant, si y a 20 millions de mecs qui veulent acheter mes disques, je vais pas dire non !

 

Comment avez-vous rencontré les collaborateurs qui participent principalement à vos disques ?

Patrick Balbin [qui joue de la guitare, divers instruments et qui a enregistré Vieux Lion], je le connaissais de la télé. Il était électricien et rockeur, on s’entendait bien parce qu’il est rigolo, donc on se racontait des conneries. Lorsque j’ai quitté la télé, je ne pouvais plus payer le logement que j’avais en banlieue parisienne, que j’ai revendu pour payer mes dettes. Quand je l’ai revendu, il me restait très peu de fric pour m’acheter un logement quelque part et j’ai pensé à la Normandie proche de Paris où habitait Balbin.

Eric Gombart [guitariste sur plusieurs albums], c’est venu parce que je suis pas très très rock’n roll. Un jour Balbin m’a dit « Je connais un type qui joue dans l’esprit de ce que tu veux faire et je suis persuadé que ça pourrait l’amuser. » Donc on est allé voir ce gars, c’était Eric Gombard, on a discuté un peu et il m’a demandé où je jouais. J’avais un petit concert à faire à Paris. Il est venu et à l’issue de ma représentation, il m’a dit « je veux bien jouer avec vous parce que vous jouez de la guitare. » ça m’a flatté, et tu sais bien comment c’est, quand on flatte un artiste il est toujours prêt à toutes les bassesses ! (rires) Donc on s’est mis à bosser ensemble et je l’en remercie tous les jours.

 

En 2003, vous sortez un album live sur lequel vous ne jouez quasiment aucune chanson qui existait déjà en studio. D’où vous est venue cette idée ? 

Parce que des gens qui me voyaient sur scène jouer seul avec ma guitare me disaient « c’est comme ça que tu es le mieux. » Je me suis dit que, comme j’avais des nouvelles chansons et que je ne savais pas avec qui les enregistrer, j’allais faire un disque live. Alors on a fait un truc, on est allé enregistrer du côté de Lyon, et pour que ça fasse petite salle, en réalité, on a pris une quinzaine de personnes qu’on avait enfermées avec moi dans la cabine du studio d’enregistrement. Ils étaient vraiment assis par terre au pied du micro et on les entend pratiquement comme s’ils étaient devant le micro, ils chantent avec moi. Pourquoi chantaient-ils avec moi alors que ce sont des chansons qu’ils ne connaissaient pas ? Simplement parce que je leur avais chanté les chansons avant, on les avait répétées ensemble et ça faisait ambiance cabaret. C’est comme ça qu’a été fait ce disque que j’aime bien, que je trouve rigolo.

 

Sur Tout Pout Être Heureux, j’avais l’impression que vous étiez décomplexé par rapport à votre premier disque : que vous assumiez des arrangements plus simples et des compositions plus “intimes” comme “Drosera” ou “La Savane”. Est-ce juste moi ou avez-vous abordé cet album différemment ?

Non, moi j’écris tout le temps, des contes ou des chansons, et je ne me pose pas la question de savoir si je vais la garder ou pas. Je l’écris, et quand j’ai envie de faire un disque, quand j’en ressens le besoin, je vais fouiller dans mon stock de chansons et j’en choisis dix-douze. Là aussi, peut-être que je me trompe, que j’enregistre des chansons qui étaient moins intéressantes que d’autres, mais bon…

Je les garde pas jalousement non plus. Par exemple, l’autre jour des jeunes gens qui font un groupe vocal, type Frères Jacques, m’ont demandé des textes car ils avaient envie de chanter mes chansons. Je leur en ai envoyé quelques-unes, et le résultat est intéressant. C’est marrant d’entendre mes chansons comme ça.

 

“Je ne pense pas que ça intéresserait les maisons de disque de prendre sous contrat un type qui a 70 ans qui fait des chansons qui ne sont pas dansables avec une voix qui n’est pas une voix de chanteur !”

Corbier 5

 

Tout Pour Être Heureux est votre premier album officiellement autoproduit. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?

Je sais pas. (Rires) Je sais pas répondre à ça parce que quand j’ai fait du disque à l’époque où j’étais à la télévision, je me posais pas la question de savoir comment ça allait être reçu. Y avait une équipe qui était là pour s’occuper de ça, je rentrais en studio, j’avais donné la chanson à Gérard Salesses et les arrangements étaient faits, je chantais ma chansonnette. Après, ça partait au mixage, je m’en occupais pas, et c’était distribué, tout était mis en place. Lorsque j’ai pris la décision d’autoproduire, je savais que j’avais rien de tout ça, je savais pas où j’allais. Mais je cherchais pas à faire la même chose que ce que j’avais pu faire, je cherchais à avoir une carte de visite. Je me disais « il faut bien que les gens qui veulent me faire travailler sachent ce que je veux faire. » Donc ces disques, je les rendais suffisamment audibles ou lisibles pour un public, mais le but était quand même d’en distribuer auprès de gens qui gèrent des lieux de spectacle. Ça n’avait pas du tout le même but qu’un disque pour enfants ou que le disque qu’Alain Barrière m’avait produit.

Mais l’autoproduction n’était pas un but, c’était comme ça. Mais j’ai toujours pas d’autre moyen, hein. J’ai fait il y a un an Vieux Lion qu’on a bien travaillé à la maison avec mes musiciens, la prise de son a été faite pas Balbin dans un petit studio. Une fois que le disque a été fait, je suis pas allé voir je sais pas qui, une maison de disque. Je ne pense pas que ça les intéresserait de prendre sous contrat un type qui a 70 ans qui fait des chansons qui ne sont pas dansables avec une voix qui n’est pas une voix de chanteur ! Faut que je sois un peu conscient ! Quand on a 18 ans, si ça ne marche pas, c’est forcément de la faute du public puisqu’on part de l’idée qu’on est le meilleur au monde ; c’est normal, sinon on chante pas. Mais quand on a 70 ans, on va pas aller s’emmerder avec un refus possible. Moi, j’ai pas envie qu’on me dise non, j’écris des trucs, je les enregistre, les gens qui m’aiment bien l’achètent, si ça intéresse personne, ça intéresse personne et puis c’est tout. Je vais pas aller voir un directeur artistique ! Je m’en fous. Je fais du disque parce que ça me fait plaisir.

 

A partir de 2009, pour Presque Parfait, vous n’avez plus recours à un distributeur. Pourquoi cette décision ?

La distribution s’était faite par hasard parce que mon frangin avait rencontré un distributeur et qu’il leur avait proposé le disque que je venais de faire. J’étais pas lié par un contrat avec ces personnes, je sais même pas s’ils ont vendu des disques, j’ai jamais touché un rond avec eux.

 

Vos textes traitent de sujets d’actualité, de politique, d’écologie ou de personnages et de situations complètement surréalistes. Travaillez-vous différemment une chanson comme “Pour Dieu, Pour Dieu !” (qui dénonce le fanatisme religieux) et celui d’une “Fichue Journée (T’as Pas Du Sucre)” (où un type provoque un cataclysme pour se débarasser de ses chaussures qui puent) ? 

Non, c’est pareil. C’est pas le même sujet. Je suis dans ma tête dans une ambiance plus douloureuse avec “Pour Dieu, Pour Dieu”, les tours viennent de s’écrouler à New York et je suis très marqué par ça, je sens bien qu’on bascule dans une ère nouvelle et que ça va pas être la joie. Et je vois pas comment je peux rigoler avec ça, je passe peut-être à côté d’un grand éclat de rire, on peut déconner avec ça, mais sur le coup j’avais pas envie. “Fichue Journée”, c’est parce que j’aimais bien quand j’étais gosse les chansons catastrophes, je trouve ça tout à fait rigolo. C’était pour me marrer, y a rien à dire derrière. L’état d’esprit est différent, mais le travail d’écriture est le même.

 

Quelles sont vos influences pour les textes des chansons ?

Pour moi, le meilleur auteur de chanson tel que je considère la chanson, car il y a plein de façon de voir la chanson, c’est Brassens. Au-delà de Brassens, y a des gens qui font de très bonnes chansons, très musicales, très bien écrites, mais qui me marquent beaucoup moins. Par exemple, je trouve plein de chansons de Gainsbourg formidables, mais ce n’est pas mon auteur de chansons préféré.

 

Votre album de 2015 semble plus intime. Etait-ce voulu ?

Oui, je voulais que ce soit comme ça, que ce soit chaud. J’avais dit à Balbin : « Je voudrais que le type qui mettra ce disque-là sur son lecteur ait l’impression que je suis chez lui avec ma guitare, mes copains, et qu’on chante pour lui. » Que ce soit chaud, que ça braille pas, que toutes les chansons soient dans les mêmes tonalités, très doux. C’était pas dans une démarche mercantile, c’était uniquement pour mon plaisir. Comme on lit un livre, je pense qu’on peut lire un polar et le lendemain un livre politique ou un livre de philosophie ou un roman d’amour. La vie n’est pas tout le temps la même. Je discute parfois avec des jeunes gens très branchés rock qui ont du mal à décrocher et écouter autre chose, et je pense que c’est dommage, parfois, de ne pas s’ouvrir à autre chose de temps en temps et de voir d’autres gens, pour se faire une opinion meilleure et se conforter dans ses propres idées. J’ai voulu faire un disque doux, presque joli, et le prochain qui est pratiquement fini en écriture s’appellera jour de blues, et il y aura donc plus de blues que de folk.

 

Vous dédicacez cet album à Cabu, et ce qui m’a étonné c’est que vous n’y avez pas composé une chanson qui dénonce le fanatisme religieux, vous qui traitez ce sujet sans pincettes. Est-ce par pudeur, ou refusiez-vous d’aborder ce sujet dans ce contexte-là ?

Ce qui s’est passé, c’est que j’avais vu Jean [Cabut] quelques temps avant d’enregistrer et je lui avais demandé si ça l’ennuierait de faire ma prochaine pochette. Il m’avait dit que non, de lui envoyer les textes et qu’il tâcherait de trouver un truc, que ça lui faisait plaisir. Le temps a passé, on est rentré en studio et puis il y a eu la catastrophe. Et là, j’ai repensé que j’avais pas envoyé les textes, que j’avais pas fait le boulot que je lui avais demandé de faire, j’étais profondément triste de ce qui venait de se passer et j’ai voulu que son nom apparaisse dans le disque. Y avait pas d’autre démarche que ça, simplement de dire que je pensais à lui-même s’il n’était pas là.

Le disque n’est pas fait pour gueuler contre les cinglés qui font leurs conneries, mais en plus il est marqué à Cabu d’une façon discrète. Je ne voulais pas qu’on fasse la promo là-dessus parce qu’on bascule vite dans les réflexions des gens qui jugent sans ne rien savoir, je redoute ça et je ne voulais surtout pas ça.

 

On trouve sur ce disque “Le Monstre du Placard”, une chanson qui pourrait tout à fait être une chanson pour enfants. Etait-ce une manière de revenir sur cette partie de votre carrière ?

C’est une chanson que j’ai écrite il y a peut-être trente ans et que j’ai voulu ressortir du placard parce que je l’aime bien. Et à chaque fois que je la chantais à des amis, je voyais qu’il y avait une petite larme. Je me suis dit que c’était dommage de pas la partager, alors je l’ai mise dans le disque. Ce disque est quand même beaucoup plus engagé qui n’y parait, quand on écoute bien ce que je raconte dans les chansons. “Une Bicoque”, par exemple, parle du problème de l’enfermement. C’est pas une chanson juste pour la blague. Le titre principal, “Vieux Lion”, c’est ce que nous vivons actuellement, c’est-à-dire des types qui montent sur le toit avec une arme et qui vont tirer parce qu’ils en ont marre de ce monde dégueulasse, on leur donne pas le droit de prier, on leur donne pas de travail, on leur donne pas de logement, alors ils deviennent fous, montent sur le toit et vont tirer. C’est pas un disque complètement gratuit.

 

Vous pratiquez une chanson plutôt engagée. Pensez-vous que cet aspect a disparu de la chanson française ?

Je pense que les médias sont désengagés, pas les chanteurs. Les médias font la part belle à de la chanson sans idée, c’est pas pour ça que y a plus de chanteurs qui écrivent des choses avec des idées, mais on ne les diffuse pas. Il y a eu une époque où c’était la mode des chansons de réflexion donc les journaux, les radios, les maisons de disques qui sont tous des commerçants, et les boutiques, diffusaient des chansons engagées parce que c’était la mode. Si demain, la mode est aux chansons qui parlent de trou du cul, je parle bien de sphincters, tous les journaux, toutes les radios, toutes les télés, toutes les boutiques, passeront des clones de chanteurs qui diront « vive le trou du cul ! » Parce que c’est comme ça ! Ce métier est comme ça et si on n’a pas compris ça, on ne comprendra jamais rien.

 

Vous qui avez connu une époque où le vinyle était le seul format disponible, que pensez-vous des formats actuels et de son retour ?

Je sais pas. Tout le monde me dit qu’aujourd’hui je devrais faire mes disques en mp3 et que y a pas besoin d’un support. Je sais pas, j’y connais rien. Moi, je préfère toujours avoir un disque, j’aime bien toucher un truc, j’aime bien un objet et je regrette le temps des vinyles parce que c’était des grandes pochettes où on voyait bien la tronche des gens, on pouvait faire des compositions photographiques plus belles. Le fait que la mode soit passée, c’est peut-être bien, j’en sais rien. J’ai pu racheter des vinyles ces derniers temps, ça m’a fait plaisir.

Sortir mes disques en vinyles, ça va me revenir un petit peu plus cher mais c’est pas tellement ça, ça va devenir compliqué pour les envoyer et comme je ne vends pas beaucoup, je vais être obligé d’augmenter le prix et ça me gêne vis-à-vis de mon petit public.

 

Beaucoup de vos disques autoproduits sont aujourd’hui épuisés. Avez-vous l’intention de les rééditer ? 

Non. Je te dis non, mais y a plein de gens qui me poussent à le faire alors je vais peut-être sortir un triple album reprenant les trois premiers disques qui sont totalement épuisés. Peut-être qu’on va faire ça, je sais pas. Mais c’est pareil, c’est une histoire de rentabilité, si j’ai dix mecs qui m’achètent mon disque, c’est pas la peine. Si j’en ai 150, peut-être que ça vaut le coup. Mais je suis pas sûr. Je sais qu’il y a des sites d’appel aux dons qui existent, mais j’y connais rien, et puis ça m’emmerde un peu, quoi. Je suis vieux, j’m’en fous. Enfin, j’m’en fous, mais je ne devrais pas parce qu’en fait je suis content de faire mes disques, je suis content qu’il y ait des gens qui m’aiment bien donc je devrais me renseigner mieux et faire les choses correctement, mais je suis peut-être trop fainéant.

 

Quelques mots sur votre prochain album ?

Il sera plus blues, mais plus blues calme, pas avec des guitares sur saturées ou avec une double-pédale sur la grosse caisse, ce sera pas ça. Ça restera tendre et doux, et puis voilà. Puisqu’on parlait d’hommage à Cabu, il y aura une chanson qui s’appelle “Mon Pauvre Jean” qui lui est dédiée. Il y aura aussi une chanson tout à fait dans l’esprit Brassens qui dit « Bien sûr, il a violé sa mère, il a tué son père, sa sœur et ses frères mais je sais que c’est un bon gars, j’irai voter Caligula ! »

 

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Souhaitez-moi d’être en bonne santé, de pas avoir trop de soucis, de vivre encore 150 ans en bonne santé ! Souhaitez-moi qu’on aime mes chansons et qu’on m’aime bien, voilà !

 

Entretien réalisé par BCG

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