Interview – Dälek

Publié par le 16 mars 2019 dans Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

Depuis qu’il a réactivé Dälek en 2015 après un hiatus de 4 ans, Will Brooks fait preuve d’une grande productivité : 2 albums, un EP et une collaboration excitante et très réussie avec Hans Joachim Irmler (Faust), Mats Gustafsson, Andreas Werliin et Mike Mare (son comparse de Dälek) sous le nom d’Anguish, le rappeur ne manque pas d’inspiration. Il faut dire que l’actualité est particulièrement chargée en ce moment et lorsqu’on aborde le sujet politique, le bonhomme a de la conversation. Si ses disques terriblement sombres et bruitistes malmènent nos tympans depuis plus de 20 ans, l’homme se révèle quant à lui extrêmement bienveillant, d’une grande douceur et animé d’une passion sans borne pour la musique.

“Le hip hop est une des rares formes d’art qui semblent parfois s’adresser seulement à certaines catégories d’âge, et je veux vraiment essayer de briser ça, de le pousser plus loin. De faire du rap d’adulte (rires).”


Tu viens d’annoncer sur les réseaux sociaux un nouvel EP à venir (l’interview a été réalisée le 2 février, ndr). Tu peux nous en dire plus ?
Oui, ça sort fin mars, début avril sur le label allemand Exile From Mainstream. On les connait depuis toujours, on sort ça à l’occasion du festival pour le 20e anniversaire du label. On n’a jamais rien sorti sur ce label encore donc on tenait à le faire. Il ne devait y avoir que 3 morceaux, finalement il y en a 6, c’est presque comme un nouveau projet. C’est super ! Il y a deux chansons qui étaient déjà sur Endangered Philosophies, une qui n’est sortie qu’en digital et trois nouvelles.

Ce sera donc uniquement sur ce label allemand, pas sur Ipecac ?
Non, pas sur Ipecac. On sort parfois des trucs uniquement destinés au vinyle. Il n’y aura rien en digital avant la sortie sur vinyle, on décidera ensuite ce qu’on fait, peut-être qu’il y aura une sortie aux Etats-Unis, du digital. Peut-être pas… C’est encore à déterminer.

Tu viens de sortir le projet Anguish qui mélange des influences hip hop, electro, jazz. Qu’est-ce que tu retiens de cette collaboration ?
On a réussi à créer un truc quelque part entre le monde de Dälek, de Faust et du free jazz. Du hip hop noisy croisé avec du free jazz et du krautrock. C’est devenu un truc unique. On l’a enregistré en trois jours seulement, aux studios Yochaum, en Allemagne, puis mixé en quelques jours. On est très contents de ce projet. Il y a des éléments de Dälek et de chaque personne impliquée mais c’est clairement quelque chose de très particulier.

Ça t’a permis de creuser de nouvelles expérimentations ?
Oui, ça emprunte vraiment des directions qu’on n’avait pas empruntées jusque-là. C’est génial !

“Les Etats-Unis ont fait un très bon travail pour détruire les mouvements syndicaux. Les seuls qui ont appris des révoltes précédentes, c’est le gouvernement. Ils ont appris à garder tout le monde bien calme et sage. Les gens s’énervent aujourd’hui mais personne ne fait rien.”

Tu as l’air très en forme en termes de composition, d’inspiration…
Oui mec, ces dernières années ont été très productives ! J’ai marqué une pause avec Dälek pendant quelques années ; je travaillais encore sur de la musique avec iconAclass, Fil Jackson Heights, je dirigeais toujours le studio et mon label, ce n’est pas comme si je m’étais éloigné de la musique mais j’avais laissé Dälek respirer un peu. Depuis que le devoir m’a rappelé, j’ai été beaucoup plus productif qu’auparavant. Durant mes premières années, je prenais trois ou quatre ans entre chaque disque. Le monde est si différent aujourd’hui…

Il faut occuper le terrain…
C’est un peu ça mais je ne précipite rien non plus. J’ai réellement été inspiré, il y a beaucoup de choses que j’ai envie de dire, beaucoup de choses que j’ai envie de faire en musique. J’ai de la chance, les gens ont encore envie de m’entendre, je suis vraiment touché par rapport à ça et me sens chanceux d’être dans cette position. Car la musique c’est très fluctuant, on ne sait jamais… Quand j’ai redémarré Dälek, je ne savais pas si ça intéresserait les gens, le marché de la musique est tellement sur-saturé aujourd’hui, c’est difficile de savoir si les gens vont vraiment t’écouter. Je suis donc vraiment reconnaissant envers le public d’être toujours intéressé par ce que je fais et d’avoir toujours envie de m’écouter. Aujourd’hui je veux juste sortir de la musique dont je suis fier, conforme à ce dont je suis capable. C’est intéressant de voir où je suis aujourd’hui, j’ai commencé il y a 21 ans, le monde était complètement différent et le hip hop a toujours été une musique de jeunes. Mais ça aussi, ça change. Il y a des artistes que je respectais, avec qui j’ai grandi, ils ont la cinquantaine aujourd’hui et ils continuent de faire leur truc. Ça change les perspectives. J’ai 43 ans et j’ai toujours beaucoup à dire et j’ai encore de la musique en moi. Le hip hop est une des rares formes d’art qui semblent parfois s’adresser seulement à certaines catégories d’âge, et je veux vraiment essayer de briser ça, de le pousser plus loin. De faire du rap d’adulte (rires).

Il y a quelques mois, DJ Muggs me disait qu’il considérait que l’on vit la meilleure période de l’histoire du hip hop. Tu partages cet avis ?
Absolument, je suis tout à fait d’accord, mec. Il y a tellement de disques incroyables de hip hop sortis ces 5 à 7 dernières années. Tous les styles que tu peux imaginer. Si tu aimes l’âge d’or east coast, le boom bap, tu peux en trouver. Tu peux aussi trouver de l’expérimentation, des sons futuristes. Il y a vraiment de tout. Tu ne peux pas dire « je n’aime pas le hip hop », il y a tellement de variété, de styles différents, ceux qui disent ça n’essaient pas d’écouter. Peut-être que ce que tu as entendu à la radio n’était pas pour toi mais ce n’est pas ça qui compte. Les radios n’ont même plus vraiment d’importance, tu peux trouver de la musique qui provient de toutes les parties du globe avec ton téléphone portable… C’est excitant ! Et il n’y a pas que le hip hop, j’ai le même sentiment pour tous les types de musique. Toute l’histoire de la musique, passé, présent, futur, est à portée de main. Il faut juste chercher. C’est génial ! Et pour les nouveaux artistes aussi. Quand je débutais, aller dans un studio pouvait constituer un obstacle, tout le monde ne pouvait pas se le permettre. Aujourd’hui, tu peux enregistrer tout un album avec ton téléphone. Il faut juste de la créativité, des idées et tu peux le faire. Tous les outils sont à disposition de chacun, c’est génial ! Il y a toujours des disques nuls mais c’est pareil que quand je fouillais à la recherche d’albums, j’allais de bons en mauvais disques, c’est aujourd’hui la même chose en digital. Il y a du mauvais, mais aussi beaucoup de bonnes choses, il faut juste les trouver.

Pour en revenir à ton dernier album, il y a ce morceau appelé “Sons Of Immigrants”, tu es toi-même fils d’immigrés honduriens. A quel point est-il compliqué aujourd’hui de vivre sous la présidence Trump en tant qu’immigré dans un pays aussi divisé ?
C’est difficile. C’est dur à traduire en mots, j’ai essayé de le faire dans cette chanson. Tout ce concept d’essayer de faire en sorte que des gens comme moi ne se sentent pas américains, que ce n’est pas notre pays, je le rejette complètement. Je suis né ici, mes parents sont venus dans ce pays pour nous construire une meilleure vie et ils y sont parvenus. Pour moi, il n’y a pas plus américain que ça ! Beaucoup de gens ont peur parce que la démographie des Etats-Unis est en train de changer, beaucoup de gens qui sont au pouvoir essaient de s’y accrocher désespérément parce qu’ils voient ce qui est écrit sur les murs, les chiffres augmentent, et dans 20 à 30 ans ce sera notre pays. C’est la réalité. J’espère qu’une partie du pays sera encore un bon endroit où vivre (rires).

Tu sens que ton rôle d’éveilleur de consciences est encore plus important aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été, vu la période que l’on vit ?
Je ne sais pas. Au début, tu penses pouvoir changer le monde mais en grandissant tu te rends compte que tu ne peux pas y faire grand-chose tout seul.

Mais tu peux faire passer un message, et éventuellement ouvrir les yeux de quelques personnes…
J’ai toujours dit que la musique que je fais, c’est davantage pour ma propre santé mentale, pour pouvoir extérioriser ce que j’ai en moi, sourire quand je ne suis pas sur scène, je dois sortir toute ma rage et ma frustration sur scène et sur disque et j’ai de la chance car j’ai ce moyen de le faire. Beaucoup de gens ne peuvent pas compter là-dessus. Je suis toujours surpris de savoir que je touche des gens avec ma musique, si ça peut aider certaines personnes d’une manière ou d’une autre, c’est génial. Quand je reçois des messages de gens qui me disent que telle ou telle chanson l’a aidée, ça signifie beaucoup pour moi. C’est un véritable honneur d’avoir un petit rôle comme ça. La musique est si importante dans la vie, mais c’est aussi quelque chose de frivole, il y a tellement de choses plus importantes sur la planète. Si la société n’est pas en bonne santé, je ne peux même pas exister en tant que musicien. J’ai de la chance de pouvoir faire des concerts, mais sans une société et une économie saines, je ne pourrais pas. C’est une carrière très précaire, on n’existe que si les autres vont bien, d’une certaine manière. Mais le monde est à un carrefour intéressant, aussi sombres soient les perspectives, je pense qu’il faut regarder ça avec une vision plus large. Si on regarde historiquement, on est passé par beaucoup de périodes horribles et ce qu’on vit actuellement n’est pas aussi horrible que ce qui s’est déjà produit. Il y a beaucoup de nuages actuellement mais il y aura de meilleurs lendemains.

Sur “Echoes Of”, tu cites Martin Luther King, Malcolm X, et tu parles comme un leader, moi j’y entends un “continuons à nous battre et suivez-moi” d’une certaine manière.
Je ne crois pas qu’il me faille me suivre personnellement, je n’ai pas les réponses, je sais juste qu’il faut continuer à se battre. Ainsi va la vie, c’est notre but, on est là pour ça. Il faut lutter pour ce en quoi tu crois, c’est tout ce que tu peux faire.

“J’ai pu trainer en backstage et rencontrer (les membres de My Bloody Valentine). J’étais vraiment comme un fan, j’ai apporté mes albums pour qu’ils les dédicacent. Je leur ai dit “je m’en fous d’avoir l’air con, vous avez changé ma vie ! Vous devez signer ces disques !”

Tu as suivi un peu l’actualité en France, les gilets jaunes et la forte tension sociale qui existe depuis de nombreux mois maintenant ?
Oui, un petit peu. Je n’ai pas tout bien suivi non plus mais je crois que ça a démarré avec la taxe sur le carburant. J’ai toujours été conscient en tournant ici à quel point c’est compliqué de voyager en France, les taxes et les péages sont totalement démesurés ! Tu regardes ce que tu payes pour l’essence qui inclut les taxes – notamment nous qui venons des Etats-Unis – on trouve les prix terrifiants… Et ils veulent augmenter les taxes, je comprends que les gens soient énervés ! Comment augmenter des taxes sans augmenter les salaires, où les gens peuvent-ils trouver l’argent ?

Et la baisse des impôts pour les plus riches en parallèle était difficile à avaler pour beaucoup.
Oui, et on voit la même chose aux Etats-Unis, tout va au bénéfice des plus riches et les classes moyennes et les plus pauvres ne voient rien de tous ces bénéfices… Je ne vois pas comment tu peux continuer à faire ça, tu peux compresser les gens jusqu’à un certain point, jusqu’à ce qu’ils craquent. Ils jouent à un jeu dangereux.

Les médias américains ont couvert cette crise ?
Oui, un petit peu. Ça a été traité mais le problème c’est que les Etats-Unis sont un tel cirque en ce moment, qu’il y a déjà beaucoup de choses qui se passent chez nous. Tous les jours, on nous annonce une nouvelle connerie qu’a faite Trump et on est là “putain de merde !” (rires). On a nos propres merdes à gérer en ce moment (rires), je ne sais pas si beaucoup de gens regardent ce qui se passe dans le monde entier, mais ils devraient ! Car tout est connecté.

Je me disais que dans les médias conservateurs américains, les Français devaient avoir l’image de sauvages qui cassent tout dans la rue !
(Rires) Nooon. Pour être honnêtes, vous les Français, quand il s’agit de protester, vous ne prenez pas les choses à la légère, et ça permet parfois d’obtenir du changement. Les Américains devraient en prendre de la graine. Lors du government shutdown (lorsque le congrès américain ne parvient pas à voter le budget, le gouvernement cesse de payer les fonctionnaires qui ne sont pas jugés “essentiels”, ndr), si les 800 000 travailleurs fédéraux non payés s’étaient retrouvés dans la rue – près d’un million de personnes ! -, si un si grand nombre de personnes était capable de se réunir régulièrement aux Etats-Unis, comme vous en France, on obtiendrait sans doute du changement également.

Ça fait moins partie de la culture américaine.
C’est moins dans notre culture et je pense aussi que les Etats-Unis ont fait un très bon travail pour détruire les mouvements syndicaux, il y a moins d’union, moins d’organisation. Je crois aussi, comme je l’ai déjà évoqué dans d’anciennes chansons, que les seuls qui ont appris des révoltes précédentes, c’est le gouvernement. Ils ont appris à garder tout le monde bien calme et sage. Les gens s’énervent aujourd’hui mais personne ne fait rien.

Ils se contentent d’un “Fuck Trump” sur les réseaux sociaux.
Exactement ! Mais est-ce que les gens vont aller dans la rue et faire quelque chose ? Probablement pas. Les gens sont très complaisants, ils regardent leur écran et sont très dociles. Malheureusement, c’est le cas dans beaucoup d’endroits. Mais quand je regarde les jeunes générations, je me dis qu’il y a quand même de l’espoir. Encore une fois, je pense qu’on est dans une période difficile mais les choses vont s’arranger, j’y crois vraiment ! Je ne suis pas utopiste mais ça finit par tourner. Les Américains ont eu un président noir, j’ai voté pour Obama, je ne pense pas qu’il était parfait, il a fait plein de trucs merdiques lui aussi, sa politique étrangère était affreuse… Mais je crois vraiment qu’il a essayé, notamment pour le peuple américain, il a essayé de faire avancer les choses. Le problème c’est que quand tu fais deux pas en avant, tu en refais trois en arrière ensuite… Je ne sais pas combien de pas en arrière on est en train de faire actuellement… Mais il faut garder espoir, se mobiliser et repartir dans la bonne direction. J’espère que les gens vont s’organiser pour faire bouger les choses dans ce monde. On verra bien…

Tu votes encore ou tu as perdu espoir ?
Non, je continue à voter. Je suis désenchanté par la politique mais je me dis aussi qu’il faut le faire, même si les dés sont pipés. Se retirer de tout ça parce que tu n’es pas satisfait du résultat, ce serait comme abandonner. On peut toujours travailler en dehors du système si le système ne nous plait pas mais je crois toujours, notamment à la politique locale dans ta ville, cela compte beaucoup. Je crois que les gens devraient plus s’impliquer dans ces élections, pas seulement pour les présidentielles. C’est de là que les lois qui nous affecteront au quotidien partent. Si tu t’impliques pour ce type d’élections, c’est comme ça aussi que tu peux obtenir du changement.

On va revenir un peu à ta carrière ! Tu as déjà pensé à adoucir ta musique pour la rendre plus accessible ou savais-tu dès le départ que tu étais fait pour ce type de sons et que tu ne devais pas tenir compte des réactions du public ?
Non, depuis qu’on a commencé, je savais que ça ne s’adressait pas à tous publics. Et honnêtement, comme je le disais tout à l’heure, c’était plutôt mon exutoire, pour ma propre santé mentale. Le fait que je sois parvenu à en faire une carrière était une surprise, j’ai été choqué que certaines personnes aiment. Je n’ai jamais essayé d’imaginer ce que les personnes aimeraient ou comment m’adapter pour que ça plaise davantage. Ce n’est jamais rentré dans l’équation. Et aujourd’hui, à 43 ans, pourquoi j’en aurais quelque chose à faire ?

Mais tu as aussi eu à côté ton projet iconAclass, plus boom bap.
Oui, mais même ce groupe, si tu écoutes mes lyrics, c’est toujours compliqué pour moi de m’éloigner de sujets sociaux. Ce que je dis, ce en quoi je crois, il y a toujours cet aspect comme dans Dälek. C’était plus un projet qui me permettait de faire ce type de hip hop que j’ai écouté en grandissant. C’est un style différent mais l’aspect noise et expérimental de Dälek m’a rappelé. Ça me manquait de faire ça, donc me voilà de retour (rires).

Comme tu le dis, tu adores le son noise, tu es particulièrement amateur de shoegaze aussi, as-tu déjà rêvé d’une collaboration avec My Bloody Valentine ou des membres de Sonic Youth, par exemple ?
J’adorerais ! L’année dernière, on a joué au Sonic City, en Belgique, dont Thurston Moore avait fait la programmation, j’y ai rencontré Debbie Googe (bassiste de My Bloody Valentine, ndr), c’était incroyable ! Elle m’a même invité pour le concert de My Bloody Valentine à New York, ce qui était encore plus incroyable ! Donc j’ai pu trainer en backstage et tous les rencontrer. J’étais vraiment comme un fan, j’ai apporté mes albums pour qu’ils les dédicacent. Je leur ai dit “je m’en fous d’avoir l’air con, vous avez changé ma vie ! Vous devez signer ces disques !” Je ne fais jamais ça, mais je l’ai fait avec eux. Et j’ai soumis l’idée à Deb de tourner avec eux ou collaborer… Tout ce qu’ils veulent, je suis partant. On verra bien. Et c’était super avec Thurston Moore aussi, c’est un mec super cool ! J’ai passé un peu de temps avec lui, on a eu une conversation géniale, avec Lee Ranaldo également. Si ces mecs veulent faire quelque chose un jour, je fonce, j’adorerais ! Déjà, avoir pu bosser avec Hans (Joachim Irmler, qui joue des synthés dans Faust, ndr) sur Anguish et déjà auparavant avec Faust, c’était un rêve absolu. Là, tu te dis, “woow qu’est-ce que j’ai fait ?!“, parce que c’est incroyable ! Même ce soir, partager l’affiche avec Shabazz Palaces, c’est dingue. C’est pour ça que je vis, c’est ça la musique ! Collaborer, jouer avec des artistes que tu respectes et dont la musique signifie quelque chose pour toi. C’est ça, le truc ! J’ai vraiment eu de la chance de vivre des choses comme ça.

Et Sonic Youth a déjà collaboré avec Chuck D (sur “Kool Thing”, morceau de Goo en 1990, ndr) ou Cypress Hill (sur “I Love You Mary Jane”, morceau de la BO de Judgment Night, ndr), alors pourquoi pas !
Oui, ces mecs-là ont d’ailleurs une connaissance du hip hop hyper poussée. Moi et Thurston Moore on a parlé des heures, il ne s’arrêtait plus (rires) ! Ses histoires sont super longues, tout ce qu’il a vu et expérimenté dans les années 70 et 80, c’est fou ! Il faut qu’il écrive, et pas seulement un livre, qu’il sorte une collection (rires) ! Des trucs incroyables, mec !

Tu as joué avec Usé hier à Vannes. Tu as aimé son concert ?
Ouais, ce mec était dingue ! Un gars tout seul sur scène avec sa batterie, un son hyper noisy, oui c’était génial ! J’ai beaucoup aimé. On n’a fait que quatre dates sur cette mini-tournée mais les autres groupes avec qui on était étaient excellents (Usé et Shabazz Palaces donc, ainsi que Dalla$ à Bordeaux et Cannibale à Nantes, notamment, ndr), on a eu de supers affiches. Ce n’est pas toujours le cas, là on a été gâtés.

Oui, parfois tu sais que le groupe d’avant n’a pas grand intérêt…
(Il me coupe) J’essaie toujours de me renseigner sur les groupes qui joue avec nous car J’ADORE la musique, c’est génial de découvrir des groupes sur scène. Mais bon, parfois tu regardes et tu dis “mouais“. La musique c’est subjectif, ça ne veut rien dire, si je ne rentre pas dedans, c’est comme ça. Il y a de la place pour tout le monde. Il y a des tonnes de gens qui ne peuvent pas blairer ce que je fais, c’est pas grave…

C’est presque rassurant, même.
Oui, j’ai toujours dit que soit les gens m’aiment soit ils me détestent. Il n’y a pas de juste milieu (rires).

Qu’est-ce que ça fait d’être sur Ipecac, le label de Mike Patton, où tu es entouré principalement de groupes de rock ?
Ils ont changé ma vie ! Mike nous a vraiment permis de nous faire un nom. On avait déjà sorti des disques avant mais si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce à lui. Ce label, c’est ma famille. Melvins, Isis – le groupe, je précise pour pas que tout le monde flippe (rires) -, Patton, Fantômas, tous ces groupes… Les tournées et les concerts qu’on a faits ensemble, je ne changerais tous ces souvenirs pour rien au monde ! Le fait de toujours sortir des disques pour eux, c’est cool ! J’ai été honoré qu’ils me demandent parfois ce que je pense de groupes qu’ils réfléchissent à intégrer au label. Greg (Werckma, cofondateur du label, ndr) me dit que je fais partie des directeurs du label maintenant (rires). Mais c’est cool d’être respecté par des poids lourds comme eux, des gens que j’admire, le fait que je les considère comme la famille et des amis maintenant, c’est une très bonne chose. Je ferai toujours des projets sur d’autres labels, et les gens hallucinent parfois que je fasse ça “qu’est ce qu’il s’est passé ?“. Rien ! Ipecac, c’est ma famille, je ne la quitterai jamais ! Parfois, je collabore ailleurs mais je reviens toujours à la maison.

Comment est Mike Patton comme manager ? J’ai du mal à l’imaginer en businessman !
C’est surtout Greg qui dirige le label. Mike décide avec lui quels groupes sortir, et c’est souvent des groupes que Mike a croisés ou qu’il apprécie. Mike veut sortir tout ce qu’il adore et Greg gère l’aspect business. C’est un peu ça la dynamique entre les deux. Mike est super, c’est un bourreau de travail, toujours occupé, il travaille constamment sur des millions de projets mais honnêtement c’est un des mecs les plus terre à terre et normaux que je connaisse. Les gens hallucinent que je dise ça parce qu’ils s’attendent à ce qu’il soit excentrique, mais ce n’est pas le cas.

C’est seulement sur scène.
Oui, il est comme ça sur scène, comme nous tous. Mais en dehors de la scène, il est très professionnel, c’est un chanteur incroyable qui travaille beaucoup trop (rires) ! On a déjà parlé de faire de la musique ensemble mais on verra. Je ne sais pas si on aura le temps (rires). Il y a trop de projets ! Un de ces jours…

“Tout l’argent que je gagne en tournée part dans mon studio et dans ma collection de disques. Je me fous des vêtements, des voitures, de tout ça. Je ne m’intéresse qu’au matériel de musique et aux vinyles (rires) !”

Un groupe avec lequel tu as collaboré, c’est les Young Gods. C’était un groupe important pour toi ?
Honnêtement, je ne les connaissais pas très bien. Ce sont les Eurockéennes qui ont initié ce projet, et c’était une idée géniale ! Cette collaboration était vraiment un moment incroyable, c’était très intense. On était ensemble pendant deux ou trois semaines, à écrire, répéter, puis à commencé à jouer dans des petites salles avant de jouer sur la grande scène des Eurockéennes. C’était génial, mec ! Et ce sont des frères, dès que je passe en Suisse, on essaie de se voir. Il y a tellement de groupes avec qui j’aimerais de nouveau collaborer mais c’est une question de disponibilités, d’agenda… En tout cas, ce sont de bonnes personnes. Et depuis lors, j’ai découvert à quel point ils étaient importants, je suis embarrassé de le dire. Beaucoup de gens réagissaient en me disant “woow, tu as joué avec les Young Gods !“. C’est fou tous les gens qui les adorent, et tous les artistes qu’ils ont influencés.

Je pensais à eux car ils viennent de sortir deux singles de leur nouvel album, et ils sont géniaux (l’interview a été réalisée avant la sortie de l’album, ndr) ! Je me demandais si tu les avais entendus…
Non, pas encore. Il faudra que j’écoute ça !

Tu es très présent sur les réseaux sociaux, tu n’as pas peur de toutes les dérives qu’ils peuvent parfois engendrer ?
Honnêtement, si je n’étais pas musicien, je ne les utiliserais pas. Je suis dessus uniquement pour promouvoir ma musique, soyons honnêtes. Mais j’aime pouvoir être en relation directe avec mes fans. J’aime que les artistes puissent interagir entre eux très rapidement, c’est cool ! Tout le reste, c’est de la merde ! Je garde ma famille en dehors de ça, je ne veux pas que les gens sachent ce que je fais de ma vie, en dehors des studios et de la musique… Bon, j’ai aussi la mauvaise habitude de poster toutes mes photos de café et de mon chien. Mais c’est tout (rires) !

Et ça nous permet aussi d’avoir un aperçu de tes goûts musicaux, tu postes souvent des photos avec tel ou tel artiste…
Oui mais tu sais, ça c’est simplement moi qui suis honnête. Je suis un fan de musique, j’adore ça ! Si je n’étais pas musicien, je serais toujours à des concerts, c’est tout ce que je fais. Tout l’argent que je gagne en tournée part dans mon studio et dans ma collection de disques. Je me fous des vêtements, des voitures, de tout ça. Je ne m’intéresse qu’au matériel de musique et aux vinyles (rires) !

Pour finir, j’ai lu que tu aimais beaucoup composer des bandes originales mais jusqu’ici tu n’as pas eu beaucoup d’opportunités…
Oui, c’est un monde difficile à pénétrer. Moi et mon ancien coproducteur Oktopus, on a eu la chance d’être contactés par le producteur Sridhar Reddy qui nous a demandé de faire la bande originale de son film Lilith. Puis, quelques années plus tard, pour son court métrage 6 Angry Women, j’ai écrit une chanson spécifiquement pour ça. Et avec mon coproducteur actuel, Mike Mare, on travaille sur un documentaire. On a donc fait quelques trucs par-ci par-là mais c’est compliqué, il faut trouver un réalisateur qui veut t’embaucher, ce n’est pas évident.

D’autant que ta musique n’est pas compatible avec beaucoup de genres de films, on l’imagine mal sur une comédie par exemple.
Exactement ! Il faut trouver le bon projet, le bon réalisateur. Mais je pense que la musique que l’on fait est très atmosphérique, très cinématique et ça peut marcher avec des films. C’est vraiment quelque chose que j’aimerais faire davantage à l’avenir. Je suis curieux de savoir quelle direction je pourrais emprunter. J’en ai d’ailleurs parlé avec Mike Patton parce qu’il en a fait beaucoup. On verra… J’aimerais en refaire, c’est quelque chose qui me plait.

Entretien réalisé par Jonathan Lopez
Merci à Lauren Barley

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