The Gutter Twins – Saturnalia (Sub Pop)

Publié par le 21 janvier 2014 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

saturnaliaS’il y a une chose que nous ont appris la fin des années 60 et le début des années 70, au-delà du fait que rallonger les morceaux avec des solos de guitare interminables peut s’avérer très chiant ou qu’un bon riff ne suffit généralement pas à tenir une chanson sur 5 minutes, c’est qu’il faut se méfier des super-groupes.
Tenant à conserver mon indie credibility, je renonce à la métaphore sportive, mais disons que d’une manière générale, les meilleurs éléments ne font pas forcément une équipe qui gagne. Les exemples sont nombreux et je ne citerai personne pour ne pas blesser la sensibilité des admirateurs sans limite de Josh Homme, Dave Grohl et John-Paul Jones.

Cependant, s’il y en a bien un qui fait mentir ces affirmations, c’est l’homme au million de collaborations, celui qui réussit à rendre tolérable une reprise de Neil Sedaka ou un album entier de chants de noël, à savoir Mark Lanegan. On a l’impression que Mark Lanegan est l’ingrédient secret pour rendre une collaboration efficace. Son timbre de voix sombre, rauque, inimitable suffit à transformer n’importe quel morceau en tuerie instantanée*. À l’instar du cochon, tout est bon chez Lanegan, avec l’avantage indéniable que vous pouvez y goûter même si vous mangez halal ou casher. Si vous suivez un peu le bonhomme, vous savez comme moi qu’il est un des rares artistes, bien que prolifique, à avoir une discographie sans vrai faux pas**.
Ajoutons l’élément supplémentaire, la deuxième moitié des jumeaux du caniveau, monsieur Afghan Whigs, j’ai nommé Greg Dulli. Là encore, pour ceux qui connaissent un peu, vous serez forcément en terrain familier. Monstre de créativité, chef d’orchestre de ses différents groupes, ayant un univers bien à lui, Dulli est une autre figure imposante du rock indépendant. Lui aussi sombre et classieux, mais dans un registre plus baroque quand Lanegan a tendance à jouer la simplicité, les deux hommes ont néanmoins déjà travaillé ensemble sur un autre projet de Dulli, les Twilight Singers. Y a-t-il eu coup de foudre ?

Peu importe ce qui les a poussés à travailler ensemble, en tout cas, le principal est qu’ils l’ont fait, et que l’album qui en résulte, est une merveille. Et je pèse mes mots. Perle noire, forcément, Saturnalia nous emporte dès les premières notes de “The Stations” dans des contrées sombres et apocalyptiques dont on n’a pas envie de repartir, même après les dernières notes de “Front Street”. La ballade a ses instants calmes et envoûtants (“I Was In Love With You”, “Seven Stories Underground”) autant que ces instants plus violents et emportés (“Idle Hands” ou “All Misery/Flowers”). Chacun des deux compères tire le meilleur de l’autre, Dulli multipliant les textures sonores pour enrichir chacun des titres quand Lanegan l’empêche de basculer dans le grandiloquent voire pompeux dans lequel les Twilights Singers peuvent se perdre plus souvent que de raison. Les deux arrivent à créer une atmosphère qui leur ressemble mais que chacun amplifie, le tout appuyé par des musiciens de l’ombre qui font néanmoins un travail remarquable. Tout cela donne un disque à la fois accessible et subtil, où les mélodies percent instantanément et où la variété des textures permet de découvrir de nouvelles choses à chaque écoute. Du grand art, et on peut dire que c’est là le meilleur travail des deux musiciens dans leur discographie respective ; ce compliment est concevable pour l’œuvre de Gulli qui est parfois mitigée, mais il prend toute sa portée dans l’œuvre de Lanegan qui ne comporte que des réussites**.

Saturnalia est, je le répète, un chef-d’œuvre. C’est le ravissement à l’état pur. Et obtenir le ravissement pour une quinzaine d’euros tout au plus, on peut dire que c’est un investissement rentable.

BCG

* La bonne foi aurait voulu que je cite le contre-exemple “If I Had A Tail”, et globalement sa présence discrète sur le dernier QOTSA, mais j’ai promis à JL de ne pas dire de mal de ses albums préférés.
** Exception faite du dernier en date, Imitations, qui offre un panel de reprise que je ne trouve pas très pertinent. L’album n’est pas mauvais pour autant, mais sans plus, ce qui en fait le plus mauvais de Lanegan.

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