David Bowie – Low (RCA)

Publié par le 10 novembre 2012 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

Bowie-LowEn l’espace de 7 ans, ç’est à dire de Space Oddity (1969) à Low (1976), Bowie aura fait du Folk, du Glam Rock, de la soul, tantôt androgyne tantôt crooner. Entre temps, il avait viré Mutant-Funky-cocaïnomane, avec Young Americans (1975).

The sad effects of the cocaine” ayant transformé Bowie en véritable hamster d’appartement, produisant un album par an. Il a même fait acteur. En effet, il joue (j’allais écrire son propre rôle) dans le film de Nicolas Roeg l’homme qui venait d’ailleurs (1976) dont les pochettes deStation to Station et Low sont tirées. Son propre rôle, disais-je, car il y incarne un extraterrestre tombé sur terre, et à l’époque Bowie est camé jusqu’à l’os, devenu blême et paranoïaque.

Lors d’un concert joué à Londres (au Earl’s Court en 1976) Bowie rencontre brian Eno. Eno est une sorte de petit chimiste de la Pop, branché en sons synthétiques. Il essaye tout. Il explore tout. Il a joué sur les deux premiers albums de Roxy Music, viré ensuite par le chanteur mégalomane, Bryan Ferry.

Un jour de 1972, Eno croise Robert Fripp (guitariste fondateur du groupe King Crimson), et les deux hommes s’enferment en studio, pour enregistrer un morceau long de 25 mn, dont la structure est constituée de boucles (“loops”) superposées entre elles constituants une nappe sonore sur laquelle viennent se fracasser les sons guitaristiques de Fripp.

Bowie telle une éponge va s’imprégner de l’expérience d’Eno, et de son talent d’arrangeur et de producteur, pour naviguer vers de nouveaux horizons, tourmentés par cette nouvelle vague montante, le Punk, détruisant sur son passage les idoles has-been et Glamo-centrées.

Bowie et Eno ont en point commun la même fascination pour cette mouvance cosmique venue d’Allemagne, le Krautrock. Le terme Krautrock (“Rock Choucroute”) a été lancé par la presse anglaise pour désigner, non sans condescendance, le Rock Cosmique allemand. Can, Kraftwerk, Amon Düül, Neu !, Cluster, etc … Les Allemands, depuis la fin des années ’60s, sèment les graines de ce qu’allait devenir la New Wave encore au stade de l’embryon.

Bowie et Eno bavardent et décident de créer un projet New Music Night & Day… Un projet ambitieux. Ils partent au château d’Hérouville. Iggy Pop est avec eux, il sort d’un hôpital psychiatrique (interné volontairement) pour décrocher de la drogue. Depuis 74, et la fin des Stooges, pour lui c’est la descente aux enfers… Iggy rebondira grâce à Bowie en produisant son premier Opus en solo : The Idiot enregistré avant Low mais sorti après, question de principe…

Low signifie “Bas”. “Bas”, comme le moral de Bowie à l’époque. Il est en froid  avec sa femme et en cours de procès avec son ex-manager. Lowest un album marquant dans la carrière de Bowie.
Au niveau des compositions, quelques musiciens sont quelque peu rebutés par les méthodes d’Eno. Sur un titre, le guitariste Carlos Alomar, par exemple, était forcé de jouer des accords écrits sur un tableau, désignés par Eno à la baguette.

En voulant aiguiser le côté créatif des musiciens, Eno ramena un jeu de cartes qu’il avait créé avec Peter Schmidt, les “Stratégies Obliques”. Ce jeu était constitué de cartes sur lesquelles étaient marquées des directives à suivre en cas d’échec créatif. Chaque musicien confronté à ce genre de problème devait tirer une carte au hasard et lire les directives inscrites dessus. Réveillant ainsi l’inconscient du créateur.

Minutieusement, Eno va construire des atmosphères sonores sur lesquels Bowie va pouvoir improviser avec tous ces synthés qu’il découvre, tout en gardant cette ligne conventionnelle guitare-basse-batterie. Bowie a été impressionné par l’album d’Eno Discreet Music (1975), un album d’ambiance dont le titre principal dure 30 minutes. L’ambiance musicale créée lentement et vigoureusement par Eno va constituer l’atmosphère de l’album Low, un album allant crescendo vers la dépression, et la mélancolie.

La première face de l’album est Pop, très proche du dernier Bowie, Station to Station, les morceaux sont clairs, la musique est fraîche, les sons aux synthés sont curieux et intelligents.
Tout commence par “Speed of Life”, très énergique, très enjoué. On attend les paroles, il n’y en aura pas, le thème est circulaire avec un bridge quand même et un sample du morceau “Here Comes That Rainy Day Feeling Again” du groupe The Fortunes.

Ensuite arrive le mécanique “Breaking Glass” très court, moins de deux minutes. La guitare est très rock, dans les aigüs, et la caisse est claire, et toujours ces sons non-identifiés, placés aux bons moments, par ses deux apprentis sorciers. La voix de Bowie a changé aussi, elle n’est plus efféminée (cf Ziggy Stardust) ou haletante (cf Young Americans), elle est plus Rock, plus profonde.

Tony Visconti, le co-producteur a fait un travail remarquable sur la réverbération de la caisse claire et sur la voix de Bowie, grâce notamment au gating. En effet, sur certains morceaux, des micros étaient installés autour de Bowie, et ne s’ouvraient qu’à un certain volume vocal, donnant l’impression que le chanteur se trouvait dans une cabine d’isolation.

Son pote Iggy Pop chantera en duo avec lui sur “What in the World” qui devait se trouver sur l’album d’Iggy (The Idiot). Les guitares sont perfides, crachant des sons énervés et volubiles.

“Sound and Vision” sera le single de promotion de l’album, et il n’a définitivement rien à voir avec les anciens succès de l’artiste “Rebel Rebel”, “Suffragette City” ou “Jean Genie”. Sur ce morceau, par exemple, il faut attendre 1 mn 30 avant d’entendre la voix de Bowie. L’intro à la guitare sur “Sound and Vision” est agréable et rassurante.

Sur l’album ‘Low’, et comme sur tous ses albums, d’ailleurs, les paroles de Bowie ont dû être influencées par la technique des ‘cut-ups’ de William Burroughs. Le principe des ‘cut-ups’ consiste à découper les mots d’une ou plusieurs phrases pour en recréer d’autres de manière aléatoire. Ceci afin d’explorer l’inconscient du créateur.

Les deux morceaux suivants sont plutôt moroses. L’auto-biographique “Always Crashing in the Same Car” et la plainte amoureuse “Be My Wife”. Le premier est très lancinant avec une guitare qui bourdonne, et la voix de Bowie est impeccable. Sur “Be My Wife”, l’intro est jouée style piano-bar, mais redescend directe dans les graves. La partie de guitare est efficace.

Ensuite vient la partie instrumentale de Low. “A New Career in a New Town” est aussi frais que “Sound and Vision”, très Pop, et très court. Eno ayant l’habitude sur quelques-uns de ses albums de créer de très brefs morceaux minimalistes et répétitifs (cf Music for Films, 1978).

L’influence d’Eno sur Bowie est transparente. “Art Decade” et “Weeping Wall” auraient bien pu se trouver sur Another Green World (1975), par exemple. L’ambiance est lancinante et les synthés communiquent entre eux. Le morceau “Warszawa” a été écrit par Eno, alors que Bowie devait s’absenter pour des procès en cours. Les trois premières notes ont été trouvées par un enfant de 4 ans, le fils de Tony Visconti. Eno va créer le morceau le plus lancinant de l’album, et le plus long (6 mn 20). Bowie reviendra pour poser sa voix et lancer des chants inintelligibles inspirés des chants incantatoires bulgares.

Sur le dernier morceau de l’album “Subterraneans”, on touche le fond. On plonge dans la noirceur, ou plutôt dans le gris mélancolique. La musique y est statique comme une peinture, et change de forme au gré des variations synthétiques de l’arrière-plan sonore. Bowie balance des sons plaintifs au saxo, et l’album se termine et nous laisse pantois, le visage marqué.

Personne ne ressortira indemne après l’écoute de cette merveille hétéroclite. A la sortie de l’album, de nombreux aficionados ont dû grincer des dents, mais tant pis, comme dirait Oscar Wilde : “Un véritable artiste ne se préoccupe absolument pas du public. Le public n’existe pas pour lui.

L’album sera mixé au Studio “Hansa by the Wall” près du mur de Berlin, lieu où Bowie et Eno enregistreront en 1977 une deuxième comète quasi similaire sur le plan structural : Heroes.

 

CB

 

Ecoutez “Speed of Life”

Speed of Life by David Bowie on Grooveshark

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