Crack Cloud – Pain Olympics

Publié par le 22 juillet 2020 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Meat Machine, 17 Juillet 2020)

Voilà un objet musical non identifié qui risque de marquer 2020 de son empreinte. Comme un graffiti anarchique sur un mur après une émeute. Ce Pain Olympics, 1er album de Crack Cloud, collectif canadien DIY hétéroclite d’une quinzaine de membres, est déroutant et chaotique. Comme notre époque. Mais il s’en dégage aussi une sorte d’énergie désespérée, et parfois quelques instants de grâce assez sublimes que l’on n’attendait pas au milieu d’un socle estampillé post-punk.

Avec « Post Truth », le titre qui ouvre l’album, Crack Cloud joue avec le feu. Il a placé la barre tellement haut dès le début que le reste de l’album va peiner à se remettre de ce choc esthétique initial. Les frontières stylistiques volent ici en éclats. Ça fait un moment que je n’avais pas entendu ce genre de titre fourre-tout génial qui te fait perdre tes repères. La claque ! Riff post-punk groovy en ouverture, puis une chorale céleste sortie de nulle part (à faire pâlir d’envie les compatriotes d’Arcade Fire, en PLS), cuivres et cordes en folie, et au détour d’une trompette, l’instant de grâce (!). Puis tranquille, un petit passage d’électro énervée et voilà la chorale qui revient ! En un peu moins de 6 minutes, on a voyagé comme rarement. Ça fait un paquet d’idées à la minute ! Assurément un des titres de 2020. Bon, forcément, avec seulement huit titres et le meilleur d’entrée (?), ça pouvait ressembler à un pétard mouillé cette entreprise. « Bastard Basket », le deuxième titre, joue d’ailleurs la rupture et s’en sort avec les honneurs en proposant un post-punk minimaliste et hypnotique bien efficace avec quelques cuivres free du plus bel effet. Classe. « Ouster Stew », titre envoyé en éclaireur dès le mois de mai, flirte lui carrément avec les 80’s synthétiques, pas ce que je préfère, mais ces deux petites minutes sont quand même carrément addictives (les Talking Heads approuvent). Bon, on trouve aussi deux autres titres de deux minutes à peine – « Somethings Gotta Give » et « Favour Your Fortune » – qui vont plutôt flirter avec le hip-hop. Pas les meilleurs, mais le hip-hop n’est pas tout à fait mon terrain favori. Le premier aurait mérité bien plus de longueur, surtout avec ces cordes inattendues assez élégantes. Le second propose un court hip-hop indus trop faible pour rivaliser avec le niveau du reste de l’album. D’autant que « The Next Fix » juste avant, sombre récit sur l’addiction, mélangeait à nouveau les genres avec brio. Et avec à nouveau une chorale qui te fout la banane ! Le clip est plutôt réussi au passage. Puissance et joie du collectif pour exorciser les démons personnels. Tout ce petit monde a effectivement été déjà bien amoché par la vie et les substances illicites en tout genres. Mais à l’image de l’artwork (très réussi), ils ont décidé de s’en sortir ensemble. Et c’est aussi collectivement que l’on ira sur le dance-floor pour « Tunnel Vision » et ce post-punk métronomique, avec sa basse groovy, puis carrément furieux quand les guitares se font incisives (à ce moment-là, on pogote). Voilà qui va tourner en boucle ! Comme le final « Angel Dust », qui va remettre Arcade Fire KO. Crack Cloud avait soigné son entrée. Il sort dans la lumière et par la grande porte avec ce duo vocal masculin-féminin assez sublime aux cordes élégiaques. C’est beau.

Je ne sais pas si on tient un classique intemporel dès ce premier album de Crack Cloud. L’avenir nous le dira mais 8 titres seulement, même si les trois quarts sont (très) réussis, ça fait quand même un sacré bémol pour ma part. Il y avait la place pour 2-3 titres supplémentaires avant d’emballer le cadeau. J’attendrai donc la suite avec envie et curiosité. Ce qui est sûr, c’est que cet album risque de squatter quelques tops de fin d’année. Notre époque est chaotique. Mais l’Histoire, et celle de la musique en particulier est pleine d’exemple d’artistes qui se sont nourris de l’adversité, dans des périodes de troubles intimes ou sociétaux, pour créer des œuvres marquantes. Crack Cloud en a-t-il l’étoffe ? Who knows ? Il propose en tout cas, dès aujourd’hui, avec talent et une énergie addictive un remède à nos temps incertains. Le futur attendra un peu…

Sonicdragao

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